Manuel Bienvenu habite depuis ses débuts, poétiquement et subtilement un monde musical. Un monde hors du temps, hors des modes, qui ne connaît aucune cartographie. Un monde organique, érudit, dense et riche où un soin méticuleux est apporté à l’écriture.
Deux axes principaux se dégagent et s’entremêlent dans ce Glo : le travail sur les timbres d’une part, les dynamiques et la forme d’autre part.
Le travail sur les timbres. Trouver le son juste, la bonne matière sonore que Manuel Bienvenu pourra travailler, former. "Camouflage est au départ une pièce pour piano qui n’a rien de séquentiel. L'usage du synthétiseur qui sonne comme une séquence est une façon de maquiller le côté "pianistique" du morceau sans en changer une seule note. Le pedal steel (une de mes parties préférées du disque), déplacé dans cet univers synthétique où on l’entend rarement (c’est un instrument qui vient de la country music), semble lui-même un peu synthétique, alors qu'il s'agit d'un son très électrique : des cordes métalliques et un ampli à lampes. Il y a aussi un piano électrique Fender Rhodes dissimulé dans le synthétiseur, qui ne joue qu'une note sur quatre, instrument à ranger du côté de la guitare électrique et des années 70's plutôt qu'avec les synthétiseurs 80's, une contrebasse jouée à l'archet, des batteries et percussions enregistrées au naturel, sans traitement et une clarinette basse en fond. En brouillant les pistes d'entrée de jeu avec ce faux morceau électronique, je suggère que la suite ne va pas forcément se classer dans un style précisément défini, c'est comme un avertissement".
Parce que Manuel Bienvenu joue avec les formes et les style, s’éloignant d’une esthétique pop, psychédélique ou jazz.
"Tout le disque a donc été composé au piano (sauf "Rio Amazonas" qui est une reprise) mais en sachant que la base de la matière enregistrée serait jouée par des synthétiseurs. Même quand ils sont moins détectables, ce sont eux qui tissent la trame sur laquelle les autres instruments jouent. Quand j'ai découvert grâce à David Cilia, les différents synthétiseurs qu'il a soigneusement choisis pour son studio, j'ai découvert avant tout des timbres, et une possibilité énorme de multiplier les registres. J'ai pensé qu'en construisant une structure synthétique qui ne s'impose pas, des arpèges peu fournis, des sons qui laissent de la place, qui ne bavent pas, mais sachent évoquer, faire vivre l'harmonie, je pourrais laisser aux autres instruments - contrebasse, batterie, percussion et basse électrique en particulier - la liberté de s'exprimer hors d'un rôle assigné. Parfois la contrebasse s'arrête de jouer, la basse prend alors le relais, mais parfois les deux s'arrêtent. Les batteries peuvent aussi sauter d'un type de jeu à un autre, parce que la partie synthétique continue à dessiner les contours du morceau. Il en est de même pour les orgues, pianos et même les voix : ils apportent ce qu'ils veulent, la trame harmonique est tracée par les synthétiseurs (qui parfois se taisent aussi quand même). J'avais aussi très envie d'avoir une contrebasse et une basse électrique ensemble, qui se relaient et se donnent mutuellement de la liberté. Partant de là, j'ai suivi les pistes qui m'intriguaient et m'inspiraient au fur et à mesure de la réalisation."
Ces pistes, qu’auraient pu emprunter également Robert Wyatt et Soft Machine, Talk Talk ou Brian Eno, nous les suivons avec lui, nous émerveillant à chaque détour. Pistes sinueuses, menant parfois à une sorte d’abstraction, à une non-linéarité (notamment dans les instruments) loin de tout formatage.