Pièce de Patrick Kermann, montée par Pierre- Marie Carlier avec Cyril Aubin, Fabrice Carlier, Pierre-Marie Carlier, Arnaud Dautzenberg, Karine Mauran, Elodie Monsenert et Philippe Moutte.
Il s'en passe de belles dans les cimetières ! Mais si Patrick Kermann a choisi ce thème pour son texte "Oratorio in progress", ce n'est pas pour une resucée de la nuit des morts-vivants ou une parade de zombies dans le genre du Magic Horror Show. Et Mastication est sans doute moins une pièce sur la mort que sur la vie.
Patrick Kermann nous emmène vers, non pas un cimetière mythique riche en anecdotes et en personnalités, mais celui de Moret-sur-Raguse, modeste cimetière de campagne peuplé d'anonymes qui ont aussi leur vie et leur histoire. Et il donne la parole aux défunts ou, plus exactement, rend audible leurs paroles dans une société qui banalise et évacue la mort.
Car quand le corps lâche, trahit, se meurt, il semble que la parole et le verbe soient les derniers bastions de la vie. Comme certains malades dont le son de leur voix, même au travers de propos désordonnés et dépourvus de sens à l'oreille des autres, reste le seul signe qui leur prouve qu'ils sont encore vivants, il ne reste aux morts de Patrice Kermann, ces vivants dépouillés de tout, et notamment du temps, que les mots et la parole.
Pétrifiés au jour de leur décès, les morts, vivants sans avenir, racontent sans cesse, dans une langue simple et sans fioriture, la même histoire, la leur, comme une sorte de mélopée incantatoire pour faire le deuil d'eux mêmes et se rappeler au souvenir des vivants mais aussi pour rassurer ces derniers. Car dépourvu d'angelots et de diablotins, le monde des morts ne serait pas manichéen. Point de pesée des âmes, mais point de néant non plus. La mort, traitée comme simple passage entre deux mondes dans une vision athée et organique de la vie, est un rude choc dont on se remet finalement assez bien. Pas de quoi affoler un vivant !
Ces tranches de vie ordinaire présentée sous forme de soliloques narratifs induisent de nombreux sujets de réflexion notamment sur la parole, l'histoire avec une majuscule, la place de la mort dans les sociétés contemporaines.
Cela donne un spectacle étonnant et détonnant à la scénographie minimaliste qui réussit une heureuse symbiose entre la distanciation nécessaire et l'hyper réalisme jubilatoire.
Pierre-Marie Carlier, qui fut, au Théâtre du Lucernaire, un Dom Juan exceptionnel, juxtapose avec justesse le drôle et le pathétique de cette ronde tragi-comique menée par de très bons comédiens qui, confrontés successivement à des personnages bien différents, naviguent avec crédibilité dans un registre délicat.
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