Derf Backderf est un observateur, un voleur d’instants qu’il immortalise par le dessin et dont il nourrit "The City", une série de courts comic strips qu’il publie pendant près de 25 ans dans des journaux underground distribués aux Etats-Unis et au Canada.
Après la publication de ses romans graphiques primés à de multiples reprises et reconnus à l’international, Derf Backderf nous livre avec True Stories aux éditions Çà et Là une compilation de ses meilleurs strips extraits de The City. Un ouvrage comprenant pas moins de 200 histoires vraies qu’il a observées et restituées tout au long de sa carrière de dessinateur de presse.
Au premier abord peu attirée par la patte graphique de Derf, j’ai très vite été séduite par True Stories. D’une part parce qu’il s’agit d’un ouvrage qui retrace et témoigne d’une partie de sa carrière. On y découvre au fil des pages l’évolution de son style, mais également de l’environnement dans lequel il évolue. D’autre part, parce que j’ai réalisé que le trait que je trouvais grossier dans un noir et blanc très peu nuancé ne pourrait finalement pas mieux soutenir les histoires vraies dépeintes par l’auteur.
True Stories est une œuvre multidimensionnelle dans laquelle se dépeignent parallèlement un tableau de l’Amérique moderne et un portrait étonnant de l’artiste que l’on apprend à cerner à travers le regard qu’il porte sur les quidams qu’il immortalise de ses crayons.
Les True Stories de Derf Backderf sont d’une efficacité redoutable. Il arrive en quelques cases à peine, et avec une incroyable précision, à provoquer à chaque histoire quelque chose chez le lecteur. Tantôt touchantes, absurdes, révoltantes ou drôles, il pointe du doigt une réalité de la vie quotidienne dans les petites villes américaines où se côtoient surconsommation, racisme, inégalités sociales, individualisme, peur de l’autre, manque d’éducation, paradoxes en tous genres et encore et toujours cette absurdité flagrante. En tapant tout aussi allègrement sur les conducteurs de grosses voitures, les bigots, que sur les accros à la malbouffe ou les bien-pensants, le dessinateur se garde bien d’être moralisateur et va jusqu’à se mettre lui-même en scène avec beaucoup d’autodérision, comme une preuve de son honnêteté.
True Stories est un recueil de faits pris sur le vif, sans réel début ni fin. La réalité crue d’une société que l’œil manifestement un peu punk de Derf paraît regarder avec un mélange d’exaspération et d’amusement et qu’il transmet avec un humour intelligent et délicieusement grinçant.
J’avais peur que cette bande dessinée soit une suite de gags lourds ou au contraire une satire déjà vue et revue d’un pays abruti par la consommation compulsive. Pourtant, j’ai eu l’impression à travers ces pages de découvrir les coulisses, de devenir le témoin de l’Amérique des quidams, celle qu’on ne voit pas dans les films, celle qui sait être aussi drôle que sordide. Il n’y a pas de morale dans cet ouvrage, seulement des instants volés, le regard de l’illustrateur et les constats qu’on fait de tout ça.
Une chose est certaine : True Stories est une excellente bande dessinée qui a su me surprendre à tel point que je me suis étonnée de m’entendre rire à voix haute au cours de ma lecture ce qui, en plus d’être rare, est pour moi un excellent indicateur de la qualité d’un récit.
Amateurs de sarcasme, True Stories est pour vous. Pour ma part, je me souviendrai une fois de plus de ne pas juger un livre par sa couverture et je considère déjà inclure d’autres romans graphiques de Derf Backderf dans ma pile à lire. |