Réalisé par Dario Argento. France/Italie. Thriller. 1h30 (Sortie 6 juillet 2022). Avec Avec Ilenia Pastorelli, Asia Argento, Xinyu Zhang, Andrea Gherpelli, Maria Rosaria Russo, Guglielmo Favilla et Paola Sambo.
Une décennie de silence filmique a suivi la sortie en 2012 de son "Dracula 3D", déceptif pour ses fans et durement éreinté par les critiques, laissant acccroire que le cinéaste italien Dario Argento avait pris en compte le conseil de ces derniers quant à la nécessité de prendre sa retraite.
Et le nom du "maître du giallo" n'apparaissait plus que sous forme d'hommages événementiels notamment en France tels le Festival du film fantastique de Strasbourg en 2016 et le Festival de La Rochelle en 2019.
Mais aiguillonné par sa fille Asia Argento qui a exhumé un scénario abandonné depuis 20 ans dans le tiroir des projets sans suite, Dario Argento renaît de ses cendres présumées.
Et il revient dans l'actualité avec son 21ème film réalisé en 2021, "Occhiali neri", présenté hors compétition à la Berlinale 2022 concomitament à sa sortie en salles en Italie, en avant-première en première française en avril 2022 pour la soirée d'ouverture du Festival Hallucinations Collectives à Lyon puis à la Cinémathèque française dans le cadre de la rétrospective qui lui est consacrée en juillet 2022.
Dans cet opus sont présents de nombreux marqueurs du giallo, hybridation du polar, du thriller et du film d'horreur saupoudré d'érotisme, en l'occurrence tiède, en mixant suspense et épouvante mais également humour et parfois teinté de fantastique, le scénario à l'intrigue dépourvue d'originalité, qui, de surcroît, ne se soucie pas de vraisemblance et les protagonistes archétypaux dépourvus d'épaisseur psychologique
Mais Dario Argento s'affranchit de certains à l'instar du trio victime-tueur-policier-héros, réduit à un duo victime-tueur, et même du suspense dès lors que l'identification du tueur n'en constitue plus le dénouement car le sujet réel est métaphoriquement annoncé sur le mode le jour succède toujours à la nuit dans la scène introductive de l'éclipse par l'utilisation du principe du théâtre classique de la fin est dans le commencement.
Par ailleurs, s'agissant des tropismes argentiens, là encore si certains sont affirmés, comme les nombreuses références thématiques à sa filmographie ainsi qu'à différents titres à celles d'autres cinéastes, entre autres Michelangelo Antonioni ("L’Eclipse", "La Nuit"), Terence Young ("Seule dans la nuit") et John Cassavetes ("Gloria") et au cinéma italien tant néo-réaliste que de l'âge d'or de la comédie italienne des années avec une parodie de policiers aussi stupides que ringards.
D'autres semblent moins prégnants, dont son esthétisme flamboyant qui a sublimé le genre consistant en l'espèce en quelques fulgurances avec une chromatique moins psychédélique et le gore réduit comme une peau de chagrin à quelques scènes de meurtres sauvages sous déluge d'hémoglobine dignes du Grand Guignol.
Co-signé par Dario Argento et Franco Ferrini, son collaborateur régulier à l'écriture, et scandé par une bande-son électro tonitruante au beat de techno 90's composée par Arnaud Rebotini, César 2018 de la meilleure musique originale pour "120 battements par minute", le scénario se résume factuellement à une traque.
Fuyant son agresseur (Andrea Gherpelli) dans une course-poursuite automobile, une escort-girl aux allures de bimbo des années télé Berlusconi (Ilenia Pastorelli) lui échappe grâce à un accident avec la cécité pour séquelle majeure.
Alors que confrontée à ce handicap avec l'aide d'une assistante spécialisée (Asia Argento), d'une chienne-guide répondant au nom de la déesse romaine de la force et de la bravoure Néria et d'un petit garçon orphelin (Xinyu Zhang), l'enfant des passagers de la voiture qu'elle a télescopée, le tueur la poursuit sans relâche.
Dario Argento qualifie son film de "conte" et ce fort justement et non seulement par son personnage principal qui est, comme souvent dans ses films une Alice mais au pays des horreurs, mais par ses caractéristiques formelles, son contenu pouvant être appréhendé à l'aune de la psychanalyse comme le fit Bruno Bettelheim, et sa dimension morale par l'illustration du triomphe du bien.
Et il ressort princpalement au récit de résilience et au roman d'apprentissage. En effet, toujours par le prisme manichéen et avec un animal-totem, la confrontation des deux personnages dont les points communs sont la solitude, la marginalisation sociale et la conception délétère de la sexualité constitue le chemin de résilience pour la femme et la descente finale aux enfers pour l'homme.
En effet, le tueur psychopathe est un Jack l'éventreur transalpin qui toutefois ne s'attaque pas aux modestes bitumeuses mais aux escort-girls haut de gamme auxquelles il n'a pas accès ce qui engendrer une frustration et alimenter une haine ciblée, sorte de miroir du mépris de classe, qu'il ne peut surmonter.
En revanche, la femme parvient ainsi à dépasser un traumatisme au demeurant non précisé, sortir de son exil relationnel et revenir dans la lumière du monde au terme d'une longue éclipse.
Là réside l'intérêt du film et se pose en filigrane l'inévitable question pour un cinéaste octogénaire, celle du film sinon testament du moins ultime.
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