Comédie dramatique de Jacques Rampal, mise en scène de Sylvain Martin, avec en alternance Marlène Da Rocha ou Violette Erhart et Luc Franquine ou Kévin Messager.
Dans "Célimène et le Cardinal", Jacques Rampal met en scène les deux principaux protagonistes d'une des pièces majeures de Molière, opus que Mahmoud Ktari, directeur du Théâtre de la Croisée des Chemins, a inclus dans sa trilogie intitulée "Du Misanthrope au Cardinal" avec "Le Misanthrope" et "La Conversion d'Alceste" de Georges Courteline.
Reprenant l'argument de ce dernier au terme duquel Alceste a embrassé la carrière écclésiastique, Jacques Rampal imagine une rencontre intervenant deux décennies après leur rupture.
Une rencontre spécieuse à l'initiative d'Alceste devenu cardinal et Célimène qui a convolé en justes noces et libre choix, un mariage de raison et d'intérêt non avec un de ses homologues de classe mais avec un riche commerçant de l'émergente classe bourgeoise.
Que reste-t-il du passé et de leur amour partagé mais inaccompli en raison de leur intransigeance réciproque ? Et quel intéret meut Alceste pour s'introduire dans la vie de Célimène ?
Placé sous obédience d'une critique radicale du rigorisme religieux, Alceste étant apparemment saisi d'un délire de salvation de l'Humanité pervertie parle vice, le texte en alexandrins imbrique dialogues et soliloques éclairant l'état d'âme des protagonistes au fil de l'entretien.
Une entrevue qui commence mezzo voce telle une visite de courtoisie mais le prélat chancelle en proie à la sidération face à Célimène dont la beauté et le pouvoir de séduction n'ont pas été altérés par les années comme sont demeurées intactes sa finesse d'esprit et son ironie mordante qu'elle ne peut s'empêcher d'exercer à l'encontre de cet amant dont elle perçoit la passion toujours vivante.
En soufflant sur les braises du passé et poussant Alceste dans ses retranchements, elle suscite un changement de ton et des échanges d'une violence inouie que la mise en scène de Sylvain Martin ne cantonne pas aux codes d'un théâtre de conversation à la confrontation policée mais décline dans un réalisme caractérologique avec une tension dramatique crescendo assortie de véritables éruptions émotionnelles.
Et les comédiens, qui interviennent dans ces mêmes rôles dans "Le Misanthrope" tel que proposé dans la trilogie précitée, s'avèrent exceptionnels par leur interprétation ressortant au théâtre de l'incarnation de personnages au coeur de la tourmente d'un amour aussi impérieux qu'inassouvi.
Luc Franquine campe de manière impressionnante l'homme possessif et jaloux qui ne contrôle pas ses pulsions et qui, par sa tentative d'emprise et sa stratége de soumission par l'abus de pouvoir que lui confère sa charge religieuse et l'agression physique, des techniques d'asservissement qui ne sont pas sans évoquer la manipulation opérée par le pervers narcissique, veut réussir là où l'homme amoureux n'avait pu réussir : soustraire Célimène au monde.
De même, avec une remarquable palette de jeu, Violette Erhart en femme libre et rebelle dans les conditions sociétales et le statut de la femme de son temps, qui affronte cette déferlante maelstromique en usant de tous les arguments et expédients pour éviter l'irrémédiable.
Un superbe duo/duel. |