A l'occasion de la sortie de leur dernier album Fragile, les Têtes Raides ont entamé une tournée aux quatre coins de la France. Étape parisienne : le Zénith ! L'opportunité pour le groupe d'offrir à son public une véritable "scène ouverte"…
Il fallait si attendre, un concert des Têtes Raides n'est jamais banal : magique par la vitalité de la prestation, brut par la sincérité de la démarche, engagé par son aspect résolument militant et actif. Et s'il est question de parti pris politique (de "devoir de parole"), le tout reste toujours ancré sous l'angle de la création.
En accostant sur la scène du Zénith, la tribu Têtes Raides , qui s'est toujours montrée friande sur le plan des synergies artistiques, a donc trouvé ici l'occasion de pousser encore plus loin le bouchon…
Cinq groupes en première partie, le tout orchestré et présenté au gré des différentes interventions du slameur Hocine Ben : il fallait oser ! Pari réussi et qu'on ne peut qu'applaudir tant l'initiative est belle. Ouverture des festivités avec un premier texte de poésie, scandé tel quel au micro : pas de musique, que des mots, libres, et criant de vérité. Le ton est donné… "Le poète est dans la rue…".
Suit, sans transition aucune (mais faut-il différencier les registres ce soir ?), le groupe Lombric.
Avec ses petites chansonnettes aux accents faussement légers, le groupe semble tout droit descendu des années 70 !
Un look "bab" et le tout mixé à la sauce "chanson française néo-réaliste": on perçoit instinctivement un rapport de filiation avec les Têtes Raides. Puis c'est au tour de l'exubérante Jasmine Vegas (chapeau en poil de moquette vert sur la tête et robe pailletée) de faire son entrée.
Un univers plus acidulé, mais aussi plus déjanté… Faut-il encore présenter Jasmine ?
Sous les yeux éberlués d'une partie du public qui la découvre pour la première fois, la parisienne ex-new-yorkaise enchaîne alors trois morceaux (telle est la règle pour chaque invité) de son album : Time, "Encaisse-moi" et "Je te vois". Retour à un style plus ancré dans la réalité avec l'étonnante prestation de Mell (du label Mon Slip comme la plupart des invités ce soir).
Énergie punk, son brut à la guitare, un rien hérité du vieux père Brassens, le tout accompagné d'un époustouflant trompettiste !
Le résultat est très probant. Séduit par ce mélange insolite de hargne et de fraîcheur, le public commence à chauffer, le ton monte… Autre point de mire, autre horizon… Entre le groupe Lola Lafon et Leva.
Le son se densifie, l'orchestration des morceaux se fait plus importante.
Mais d'où viennent ses sonorités déroutantes ? Oscillant entre le registre rock et une gouaille aux résonances orientales, le groupe a puisé son style aux racines de ses origines balkaniques…
Le tout est étonnant, enivrant. Interprétant les textes tantôt en roumain, tantôt en français, on ne saurait imposer de frontière à cette musique qui semble intemporellement venue d'ailleurs ! Enfin, pour clôturer la scène ouverte, l'apparition la plus étonnante de cette première partie : Bam's.
Surfant aux limites du hip-hop, du rap et du jazz, l'univers de cette chanteuse française d'origine africaine est inclassable et totalement déroutant ! Accompagné entre autres d'une contrebasse et d'un DJ, Bam's scande une prose revendicatrice et libre. Impossible de décrire tant la prestation est innovante et osée…
Voilà donc toute la générosité et l'intelligence des Têtes Raides : décloisonner les univers, offrir à son public d'autres opportunités, offrir à des artistes moins aguerris la possibilité de s'exprimer. Chapeau !
Bientôt 22 h 00, il est temps de faire démarrer le concert à proprement parlé car le public s'impatiente… Quelques cliquetis de baguettes sur la caisse claire et voilà le spectacle lancé !
Entrée de Christian Olivier pour entamer le titre-phare du dernier album : Fragile.
Un début d'interprétation mesuré, puis c'est l'explosion générale avec l'entrée flamboyante des cuivres (saxo, trompettes…) sur la scène.
La magie des Têtes Raides, n'est-ce pas justement cette alliance de couleurs (fanfares, sifflets, sortis tout droit d'un magasin de jouets) et de noirceur (l'accordéon nostalgique, la basse rageuse aux accents punk) ? Énergie ! Synergie ! Fantaisie ! ça sonne vrai, ça sonne plein, c'est humain ! Et l'on ne peut, avec la suite des morceaux qui s'enchaînent, qu'être transporté ! C'est un bain de jouvence, un antidote contre le sommeil, contre le rond rond quotidien qui anesthésie… Pêle-mêle et d'un souffle suivent "Je voudrais pas crever" (paroles de Boris Vian), "Houba", "Latuvu", "We gonna love me", "Constipé"… mais aussi des "classiques" du groupe : "Zigomatics", "Gino", "Saint-Vincent", "L'iditenté", l'incontournable "Ginette"…
Un invité d'honneur : Jean Corti (accordéoniste de Jacques Brel en son temps) qui reprend en solo la sempiternelle javanaise de Serge Gainsbourg. Des invités récurrents : les enfants du petit chœur des Patalo…
Alors, incontestablement, l'humeur est à la fête ce soir : le public danse, pogote en douceur, entonne la chansonnette et lève le poing. Des silences aussi… pour reprendre du souffle, écouter, réécouter les paroles de cette chanson en hommage aux Communards de la ville de Paris…
Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on sait avec quelle exigence les Têtes Raides ont toujours poussé leur travail ?
En perpétuelle évolution, le groupe est parvenu aujourd'hui à l'accomplissement d'une très belle démarche artistique. Gageons qu'ils sont loin d'avoir finis de nous étonner ! Christian Olivier, plus présent, plus entier que jamais ; Grégoire au saxo, agissant comme l'élément fédérateur du groupe, tout en générosité et en ouverture sur scène ; Édith et Anne-Gaëlle tout en pudeur, grâce et émotion…
Alors, pour ceux qui ne serraient toujours pas convaincu, les Têtes Raides sont en tournée jusqu'à fin juin ! |