Spectacle de théâtre documentaire conçu par Marie-Ange Gagnaux, Itto Mehdaoui et le Collectif Marthe, avec Aurélia Lüscher, Marie-Ange Gagnaux en alternance avec Itto Mehdaoui.
L'année dernière, on a pu voir un documentaire de Callisto Mc Nulty intitulé "Delphine et Caroline insoumuses", qui a permis de reparler de Carole Roussopoulos et de rappeler qu'elle avait réalisé des dizaines de documentaires et partagé par cette voie les combats féministes de Delphine Seyrig.
Cette fois-ci, c'est le théâtre qui s'empare de ce beau personnage dont on n'explique la "disparition médiatique" que pour de mauvaises raisons : elle était femme et une femme engagée dans des combats qui paraissaient démodés à l'ère de l'ultra-libéralisme dominateur.
En découvrant "Rembobiner", le travail limpide écrit et conçu par Marie-Ange Gagnaux et Itto Mehdaoui, du Collectif Marthe, on trouve immédiatement les réponses à toutes les questions qu'on se posait et l'on se dit que les deux jeunes femmes font œuvre utile : Carole Roussopoulos a de nouveau toute sa place dans le monde qui vient.
C'est au théâtre de Mohamed El Khateb qu'on pense d'emblée quand Aurélia Lüscher et Marie-Ange Gagnaux (en alternance avec Itto Mehdaoui) accueillent leurs spectateurs. On est face à un théâtre de proximité, qui cherche à mettre à l'aise ceux qui sont venus les voir et leur disent qu'elles sont des passeuses. Il va s'agir avant tout de transmettre.
Le jeu n'est pas absent, mais il est dans le processus de transmission. Car la forme choisie est simple : l'une des deux actrices sera Carole et l'autre sera un des personnages filmés par Carole, qui, entre parenthèses, fut une pionnière de la vidéo. Elle fut la première à acheter le premier appareil alliant caméra et écran où l'on pouvait voir ce qu'on venait d'enregistrer (le second acheteur n'étant autre que... Godard).
On est dans un dispositif où Carole est censée, derrière son ordinateur, interroger des gens de peu, à commencer par des ouvrières de chez Lip. Sa partenaire remplace et joue la personne qui était filmée.
Ainsi est revécu en direct par le spectateur un texte qu''on pourrait nommer "cinématographique". On est aussitôt conscient de la pertinence chaleureuse de l'interview de Carole Roussopoulos et en même temps de l'intérêt des propos de l'interviewé.
En une heure de ce "Rembobiner" très original, on en sait déjà beaucoup sur l'importance de ce qu'a fait Carole. D'autant qu'après des inconnues, arrive celle qui sera d'une importance cruciale pour la cinéaste, Delphine Seyrig. Leur réunion est une des grandes dates du féminisme et est joyeusement racontée par les deux actrices sur scène. Quand l'idéologie devient joyeuse comme ici, elle cesse d'être de l'idéologie pour devenir une belle proposition.
"Rembobiner" a cette vertu, celle d'un partage véritable entre ceux qui transmettent la parole de Carole Roussopoulos et ceux qui ignoraient qu'on allait leur faire un don précieux, celui d'avoir un être remarquable de plus dans leur Panthéon personnel.
Un spectacle simple et généreux qui rechargera les batteries de ceux qui n'avaient pas pensé qu'il fallait revenir aux années 1970, et y puiser dans un vivier d'auteurs et d'autrices injustement occultés, pour reprendre espoir. |