MATA - Reality
(Island Records / Drag City) octobre 2022
Deux artistes dans leur zone de confort, avec deux résultats diamétralement opposés
Bill Callahan et M.I.A sortent cette semaine deux albums très fidèles à leurs canons respectifs : celui de M.I.A s'intitule MATA, et celui de Callahan, Reality.
Callahan n'avait pas opéré de rupture musicale en quittant son alias Smog. Radicalement, sa musique est toujours restée une incarnation sèche et un peu intello du grand roman américain.
Chaque album avait cependant son petit concept, sa couleur particulière. Untel creusait davantage la répétition, le côté Elvis rencontre Can, les rythmiques obsessionnelles (Rain On Lens par exemple). Tel autre allongeait un peu les notes de pedal steel guitar et les thématiques à la Hopper ("The only words I said today are 'Beer' and 'Thank you'"), country déceptive qui masquait l'humour subtil de Callahan, dont la plume habile en fait un digne successeur de Dylan à la course au Nobel.
L'Anglaise née au Sri Lanka M.I.A a quant à elle toujours exploré le potentiel acide de la pop music, et samplé des sons non-occidentaux pour faire danser en parlant de politique.
On sentait cependant dans la voix de Maya Arulpragasam une jouissance un peu disparue sur son précédent album, AIM. Une certaine lassitude, peut-être, de voir son travail pillé par toutes les artistes les plus vendeuses de leur temps (de Beyoncé à Rosalía, pour en citer deux qui l'ont fait avec talent) tandis qu'elle-même restait cantonnée à une zone un peu étrange où elle était à la fois vraiment populaire (elle en parle d'ailleurs dans MATA) sans pour autant être devenue un nom commun.
On découvre donc MATA avec beaucoup de satisfaction : la M.I.A d'il y a dix ans est revenue. La recette n'a pas changé : percussions d'Asie et d'Orient + rythmiques RnB (les meilleurs titres sont d'ailleurs produits par Pharrell Williams et Diplo : dream team) + discours critique sur les paradoxes capitalistes. Dans un monde parfait, chacun de ces morceaux sortirait en single et connaîtrait le même succès que le Chicken Teriyaki de sa grande fan Rosalía.
Callahan, en revanche, est décevant dans la redite. J'ai écouté son Reality en repensant à une interview qu'il avait donnée à un webzine américain il y a une quinzaine d'années :
Journaliste : "Quel est votre plat préféré ?"
Bill Callahan : "Le réchauffé. Mais, assez parlé de mon dernier album."
On n'est jamais très loin de l'auto-parodie dans Reality. Le titre écrit en miroir, métaphore un peu éculée de la pratique artistique, en reflète (ha ha) finalement assez bien le contenu : j'ai l'impression d'entendre Callahan dire à ses musiciens :
"Alors là vous voyez, on va faire un truc un peu atmosphérique basé sur de la guitare sèche et une voix sourde, limite monologue, et petit à petit le truc va monter en intensité, mais on restera assez digne et tout. Hein ? Ouais, comme sur mes trois albums précédents, ouais."
"Ah, alors celle-ci ça va être une longue plage de genre 7 minutes, ça va partir tout doux et à un moment il va y avoir un crescendo expé, ça va être trop bien. Comment ? Oui, comme ce qu'on faisait déjà il y a vingt ans, c'est ça."
"Celle-ci est super contemplative, je pars sur une très belle mélodie, guitare-voix, et ça flotte comme ça, tout en nuances. Comme d'hab, quoi."
Quand j'ai lu que M.I.A était une born again Christian, j'avoue que j'ai eu très peur de la manière dont cette révélation allait se refléter dans sa musique à venir. Un concert à Lyon (exceptionnel) et un album plus tard, je suis largement rassuré. L'artiste continue à être l'une des plus importantes de son époque en creusant un sillon certes déjà connu, mais son artisanat est une question de savoir-faire.
Avec Callahan, c'est tout le contraire. J'ai lu quelques premiers avis sur Reality qui semblaient y entendre un chef-d'œuvre, et ce que j'ai entendu est un album de Smog de 2009. Un très bel album, bien sûr, mais sans aucune surprise.
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