Tragi-comédie de Georges Perec, mise en scène d'Anne-Laure Liégeois, avec Olivier Dutilloy et Anne Girouard.
En 1968, l'écrivain Georges Perec, inlassable et sagace explorateur de l’infra-ordinaire, érige son texte intitulé "L'Augmentation" en pièce radiophonique qui, porté sur scène, constitue un singulier objet théâtral qui n'a rien perdu de son acuité.
Il décompose les différentes phases de la banale et ordinaire situation de la demande d'augmentation d'un employé de bureau formulée auprès de son chef de service dont il formalise les aspects relationnels selon les codes de la représentation organigrammatique et ceux binaires de la programmation informatique.
Ainsi il en conçoit un "modus vivendi" générique en six étapes - la proposition, l’alternative, l’hypothèse positive, l’hypothèse négative, le choix et la conclusion - constituant une scène introductive ensuite déclinée en une série de variations glassiennes.
Dans la mise en scène d'Anne-Laure Liégeois, cette séquence-matrice est énoncée en frontal par un homme et un femme emperruqués et engoncés dans des petites tenues noires et grises et assis immobiles côte à côte mains posées à plat sur une table à la manière de la simple verbalisation mécanique par des pantins dépourvus d'affect.
Et à défaut d'être incarné, ce texte s'auto-engendre en organisme vivant se reproduisant par parthénogenèse, une réplication non exempte de mutations somatiques, avec une jubilation croissante jusqu'au délire et dont les rejetons phagocytent les corps jusqu'à l'épuisement ultime voire l'implosion.
Anne-Laure Liégeois privilégie une judicieuse et jubilatoire approche burlesque avec la fonction thérapeutique tant préventive que curative du rire qui ne dénature ni l'esprit ni le fond de l'opus original.
Au jeu, Anne Girouard et Olivier Dutilloy réalise une performance virtuose pour dispenser une partition itérative ardue par sa complexité rhétorique et, sous une apparence tragi-comique et loufoque, satirique par son sous-texte qui renvoie au monde impitoyable et délétère du travail et de l'entreprise.
Du grand art. |