Spectacle conçu et mis en scène par Marie Fortuit d’après le texte éponyme d’Elfriede Jelinek, avec Romain Dutheil et Virgile L. Leclerc.
Le tropisme majeur de la romancière et dramaturge autrichienne nobélisée en 2014, et féministe radicale, Elfriede Jelinek consiste en une déconstruction barthésienne des mythes, contes et légendes et des stéréotypes féminins ancrés dans la mémoire collective ainsi dans son recueil des "Drames de princesses" consistant en des variations autour du thème de la jeune fille et la mort.
Tropisme et thème déclinés dans la partition "Ombre(Eurydice parle)" avec laquelle elle livre sa version du mythe d'Eurydice, l'épouse d'Orphée qui ne réussit pas à l'exfilter des Enfers faute d'avoir satisfait à la condition déique imposée.
Avec une approche qui ne modifie pas l'intrigue et ni n'explique le motif du comportement d'Orphée, mais érige le dénouement considéré comme malheureux comme une fin heureuse revendiquée par Eurydice investie d'une quête paradoxale, celle de l'affirmation de soi et de l'effacement, et érigé en acmé existentiel énoncé dans le syllogisme : "Je ne suis plus rien. Je suis."
Poétesse inaccomplie en raison des diktats patriarcaux et fashionista acheteuse compulsive mariée à une pop star, l'Eurydice d'Elfriede Jelinek n'est que parole, avec le langage considéré comme arme et outil.
Et ce, aux termes d'un monologue opérant, selon le mode récurrent d'Elfride Jelinek, celui de la rhapsodisation de l'écriture, par assemblage, association voire parfois amalgame, d'éléments disparates et une pratique linguistique usant à l'envi des figures de style, de la polylexicalité aux jeux de mots, et se déployant en une suite logorrhéique ressassante.
Par ailleurs, ce texte de fiction se révèle également autofictionnel par ses séquences sur la dépression paternelle, l'absence d'amour maternel et notamment sur le concept d'effacement expérimenté par l'auteure.
Dans la mise en scène de cet opus ardu qui donne non à voir assurée avec acuité par Marie Fortuit, et nonobstant la présence ponctuelle de Romain Dutheil, efficace pour les apparitions ponctuelles d'Orphée, tout repose sur l'interprétation incarnée de Virgile L. Leclerc.
Soutenue par les lumières crépusculaires de Thomas Cottereau, la scénographie de Louise Sari composant un lieu indéfini pourvu notamment d'un catafalque fleuri évoquant les univers picturaux romantiques tout comme le prologue vidéo d'Esmeralda Da Costa dans laquelle Eurydice ressemble à l'Ophélie shakespearienne flottant dans l'eau, offre un bel écrin à la comédienne..
Et Virgile L. Leclerc réussit à impulser une dynamique dramatique à cette parole performative.
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