Le boss me l'avait joué sauvage. Comme seuls les boss peuvent l'être. "Ce soir tu vas voir The Rakes". Moi j'étais pas contre, bien au contraire. Enfin la chance m'était donnée d'arrêter de confondre tous ces groupes. The Rakes, The Brakes, Turin Brakes, The Kooks même….
Peut être tous des fakes. Des adolescences difficiles dans une banlieue grisâtre, un père mal aimant, des trajets en train pour rejoindre la capitale, des accords sur guitares branchées puissance maximale (mais pas trop pour ne pas déranger Ms Jones, la voisine du dessus) et les rêves de liberté, les envolées sexuelles avec la groupie du coin. Des réveils difficiles donc, une fois le mythe tombé. Et la difficulté à s'éloigner de ses idoles.
Une première partie. Comme toujours. C'est Absentee qui s'y colle.
Une présence lointaine, sans jeu de mots, parcourt la salle. Une bienséance polie à l'écoute d'un rock mille fois entendu, sans passion, avec un chanteur à la voix rauque, entre Arno et Tom Waits.
Le genre à manger trois mégots to be a real man. Un groupe sympa, un groupe de première partie, une fille joue du clavier avec un tube dans la bouche, le saxo porte une casquette à ailette, c'est chouette c'est une première partie.
C'est joli. "Tu applaudis par compassion ?" demande un gars à son ami d'un soir. L'autre : "Non je pensais que c'était fini". Ambiance….Un dernier - et seul - bon titre en guise de final, un peu de l'énergie des Tindersticks. L'audience finira sur un bon souvenir.
Grosse affluence pour The Rakes.
Bar déserté, fait assez rare au Trabendo pour le noter. L'Angleterre est venue toute entière pour voir les Australiens. Dans la mouvance comme on dit. "Tu vas voir, c'est super frais, ça passe sur le Mouv', Oui FM et Europe 2" me souffle-t-on à l'oreille. Les choses commençaient mal.
Rock lourdingue pour mélodies pas fraîches, me soufflent mes tympans, en dépit du sourire collectif des nombreux spectateurs ayant fait le déplacement.
Entre Editors et Franz Ferdinand pour l'énergie déployée sur scène, The Rakes ravit la salle. Autant le dire tout de suite, le groupe ne trouve aucune grâce auprès de votre serviteur (Aucun mail d'insultes SVP).
Les questions m'assaillent. Depuis quand les chanteurs ont-ils décidé de rayer le charisme de leurs priorités ? Depuis quelle année un chanteur ne fait plus rêver, ses Converse au pied, lacets défaits pour faire illusion, T-shirt infâme froissé ? Quelle heure est-il ? Pourrais-je supporter l'intégralité d'un concert seul au monde face à la foule transie et conquise ? Ai-je assez de cigarettes pour tenir ?
Peu de réponses en retour. Quelques moments d'acalmie sonore. Sur le single, comme on dit, "Open Book", refrain cockney qui entraîne malgré soi à la dérive, comble les plus réticents. Et puis il y a…
Et puis il y a cette reprise de Serge. "Le poinçonneur des Lilas" renommé pour l'occasion "A man with a job" (magnifique adaptation anglaise de Boris Bergman, soit dit en passant) jouée avec la précision d'un groupe qui massacre sa cover. "Nevermind", la reprise est bonne, le public extrêmement réceptif, il se passe clairement quelque chose sur ce titre.
La conclusion s'impose. Les labels musicaux suivent la même route que les compagnies pétrolières, de Texaco à Esso. Les bons filons se raréfient, et l'on cherche encore. On creuse, on fore de nouveaux trous, des petits et des grands trous, à la recherche du gisement encore exploitable. On tombe sur la roche qui bloque l'avancée du marteau-piqueur. On se promet des jours meilleurs, des bénéfices, en rêvant des jours anciens.
21h45. Je quitte le Trabendo plein à craquer, frénétique de The Rakes, sautant comme un seul homme sur des gimmicks empruntés à d'autres. L'opium du peuple sûrement…
|