Comédie dramatique de Stephan Wojtowicz, mise en scène de Lorraine Résillot, avec Fiona Munoz-Martinez, Dorothée Quiquempois, Gauthier Germain, Camille Helbéïe et Cyprien Pertzing.
En découvrant la mise en scène de Lorraine Résillot pour sa reprise de "Les Forains" de Stephan Wojtowicz, pièce que celui-ci avait créée en 2008, on peut sans exagérer dire qu'on est devant un des meilleurs textes francophones de ce début de siècle.
On pourrait même oser affirmer qu'on est ici devant le croisement improbable de "Godot" et du "Père Noël est une ordure".
Vivant le long d'une voie ferrée, à quelques mètres d'une décharge d'ordures, trois forains sont en cale sèche : le camion qui contient leur manège est en panne. Vraie ou fausse, réalité ou prétexte, cette panne les a fait échouer dans la précarité absolue, dans un temps suspendu, dans l'attente d'un événement qui pourrait très bien ne jamais survenir.
Eddie (Cyprien Pertzing) taille un bout de bois et guette les trains. Sur un carnet, Il note soigneusement le nombre de wagons et l'heure du passage de chaque train. Pendant ce temps-là, Jackie (Dorothée Quiquempois) cuisine des raviolis et Nono (Gauthier Germain), le frère supposé d'Eddie, est parti picoler au village à 14 kilomètres de là. Dans un coin, il y a la "niche" du chien, qu'on ne verra pas, mais dont on entendra les aboiements courroucés, qui laisse supposer qu'on est devant un molosse.
Même si elle n'a pu inclure sur la scène, la caravane entière qui était prévue, Lorraine Résillot a créé un cadre très parlant pour signifier à la fois la pauvreté penchant vers l'insalubrité du lieu et la chaleur humaine qui, paradoxalement, se dégage de l'ensemble. Sur le sol, il y a de la terre, des matières éparses, un fouillis d'objets hétéroclites, comme un pneu de camion ou une valise. Sans compter une table de camping et des chaises. Mais si on lève la tête, il y a des éléments végétaux qui pendent et des guirlandes d'ampoules, éteintes ou allumées, de différentes couleurs.
Tout cela donnera au spectateur l'impression d'être vraiment dans l'intimité, dans la promiscuité de ses forains ankylosés dans une vie sans vie, mais libérée de tout ce qui leur fait peur et qui est symbolisée par ce train hors champ mais très présent...
Et voilà donc, on pouvait s'en douter, que l'impossible devient le réel : le train s'arrête et, magie du théâtre, repart sans Olivier (Camille Helbeïe) et sans Hélène (Fiona Munoz-Martinez), deux voyageurs qui vont perturber la vie des "simples", deux méprisants qui forcent la cohabitation avec un trio équilibré dans sa misère, ses tocs et ses addictions.
L'opposition des "styles" prend vite forme. Le parler ch'ti des autochtones contraste qui contraste avec la belle élocution des intrus en sera la première étape. Alternant scènes de comédie, et moment d'extrême-tension, la seconde partie des "Forains" est propice à de vrais moments d'hilarité suivis brutalement d'éclats d'intenses émotions.
On pense fortement à la comédie italienne et évidemment à "Affreux, sales et méchants" d'Ettore Scola mais sans que ces adjectifs soient nécessairement destinés à ceux à qui l'on s'attendrait.
Chacun, dans son registre, magnifie son rôle. Sans faire ombrage aux autres, les prestations de Cyprien Pertzing et de Dorothée Quiquempois dominent. Les dialogues du couple Eddie-Jackie y sont certainement aussi pour beaucoup.
Les trois autres personnages, sans être des caricatures, sont plus prévisibles., notamment Nono l'alcoolique et Olivier le bourgeois bourré de préjugés. Reste Hélène, qui a quitté le train pour quitter son mari et changer de vie, qui navigue dans l'entre-deux de sa décision radicale. A-t-elle eu raison ? A-t-elle eu tort ? Elle n'en est qu'aux prémisses et n'aura pas, dans le temps imparti par Stephan Wojtowicz, la réponse à ses questions.
On sera assez épaté par le final et l'on restera sous le charme d'une pièce intelligemment montée. On n'oubliera pas non plus l'admirable travail sur les lumières d'Adrian Libeyre Ramirez. Toutes ces loupiotes de couleur, utilisées à très bon escient, ajoutent une dimension de féérie naïve, de poésie sans esbroufe, qui cadre tout à fait avec l'intention de l'auteur.
En résumé : une excellente surprise. On prédit à ces "Forains" version Lorraine Résillot un devenir au long cours. On ne comprendrait pas qu'elle ne puisse pas être copieusement applaudie par un très large public. |