Spectacle conçu et interprété par Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte.
Pas la peine de tergiverser : il faut aller toute affaire cessante ce "Poil de carotte, Poil de carotte" signé Flavien Bellec et Etienne Blanc.
Bien écrit, absolument imprévisible, toujours drôle, ce double Poil de Carotte est un exercice jubilatoire dans lequel Favien Bellec et Solal Forte se livrent à un duel à fleurets pas très mouchetés.
Flavien, un comédien à la mode, qui était avec Lars (comprendre Von Trier) il y a quelque temps, retrouve un autre copain, Solal, avec qui, avant sa gloire universelle, il avait des projets qui, visiblement, continuent de le mobiliser.
La scène est vide hormis deux chaises lointaines, un appareil enregistreur, un ordinateur et un autre appareil pouvant faire varier le lumières. Près de la chaise où est assis Solal, un gros livre (le "Bouquins" regroupant les œuvres de Jules Renard), une perruque rousse.
Quand commence "Poil de Carotte, Poil de Carotte", Solal est seul sur sa chaise, prend les œuvres complètes de Jules Renard et en lit un extrait qui provient du "Journal", le chef d'œuvre absolu de l'écrivain rouquin... Et Flavien survient alors...
Les deux amis d'avant sont censés se retrouver mais la salle est cueillie à sec : Flavien, après avoir raconté tout ce qu'il fait dans sa "brillante" nouvelle vie, se saisit du livre et commence à dézinguer méthodiquement l'entreprise de Solal...
Rarement on a entendu sur scène pareil acharnement dans le dénigrement. Le public pousse des "oh" indignés qui semblent motiver Flavien pour continuer son terrible travail de sape. C'est méchant, mais ce qui est plus gênant, c'est que c'est bien vu. Qu'il sait frapper là où ça fait mal. Que cela correspond bien à ce qu'on aurait pu dire ou écrire sur le "Poil de Carotte" de Solal si l'on avait la dent dure d'un critique théâtral sans pitié.
Aux "oh !" indignés, se mêlent désormais les rires. Ils ne quitteront plus jamais les bancs du public. Peu à peu "Poil de Carotte, Poil de Carotte" va prendre une autre forme. Passer à un autre degré, celui du "méta-théâtre" ou du "non théâtre", comme on voudra. Flavien quittera la scène et laissera seul Solal, apparemment en pleine humiliation...
Ce sera alors à son tour de se lancer dans un autre monologue "rambertien". Au style rentre dedans de Flavien correspondra un autre ton : celui plus renfrogné, plus apparemment détaché de l'acteur "raté" qui va faire des révélations pour égratigner son vieux camarade...
On en dira pas plus, pas plus qu'on n'évoquera la résolution elle aussi parfaitement inimaginable. On restera saisi quelques instants quand le noir se fera définitivement. Car on est finalement devant une partie de ping-pong mental, face à un "suspense" où l'on peut même craindre qu'il y ait mort d'homme, qu'un des deux "Poil de Carotte" s'en prenne à l'autre.
Peut-être que Flavien Bellec, Etienne Blanc et Solal Forte, bien qu'il prétende n'être, lui, qu'un acteur, y ont pensé ; Peut-être que les trois compères n'y ont pas du tout songé... Mais on va le formuler quand même : on a l'impression d'être devant un remake du Limier, le célèbre film de Joseph L Mankiewicz avec Laurence Olivier et Michael Caine, qui a aussi été décliné au théâtre.
Qu'importe s'il s'agit ou non de la bonne référence : cela prouve la qualité de ce spectacle. Original, passionnant, mystérieux, on espère qu'il obtiendra le succès nécessaire pour devenir à son tour un classique du genre. |