Comédie dramatique écrite et mise en scène par Gérard Watkins, avec Valérie Dréville, Lucie Epicureo, Malo Martin, Marie Razafindrakoto, Gérard Watkins et la pianiste Camille Prenant.
C'est au cœur d'un univers étrange, celui d'une souffrance mal connue, moquée ou sous-estimée, que Gérard Watkins a choisi de pénétrer dans "Voix".
Voulant comprendre ce que vivaient les gens qui en étaient atteints, le dramaturge lui-même s'est fait interrogateur. Sur une scène presque vide, avec seulement quelques chaises dispersées ça et là, un mur aux couleurs écaillées au milieu duquel on distingue une ouverture fermée par une tôle ondulée, trois personnes sont présentes pour lui expliquer de quoi elles souffrent.
Dans la salle à demi-éclairé, il est quelque part, comme une voix off parmi les spectateurs, dégainant ses questions à Eloïse (Lucie Epicureo), Clément (Malo Martin) et Manon (Marie Razafindrakoto). Tous les trois sont des "entendeurs de voix".
Depuis des années, à des degrés divers, ils doivent partager leur esprit avec quelque chose d'obsédant qui s'y est introduit : une voix qui ne leur est pas propre et qui dispose d'une autonomie sur eux.
En résumant, ils vivent un enfer à les rendre fous. Mais, justement, ils ne veulent pas qu'on aborde cela comme un pathologie tenant de la psychiatrie et ayant besoin d'être soigné avec force médicament. Ils veulent parler de "leurs" voix, comprendre quel sens elles pourraient avoir et pourquoi pas, rêvent de les apprivoiser, de les contrôler pour, espèrent-ils, s'en débarrasser... un jour.
Devant cette souffrance incontestable, le questionneur cherche un ton qui ne soit pas intrusif, module sa voix pour qu'elle soit la plus douce possible et que les questionnés ne la perçoivent pas comme hostiles.
Tout à coup, la séance prend une tournure inhabituelle avec l'entrée en lice d'une nouvelle participante : Véronique (Valérie Dréville). Elle a 60 ans, n'est jamais encore venue aux réunions des "entendeurs". Ce qu'elle va raconter, c'est une expérience hallucinante, celle de quelqu'un qui vit depuis années parmi "des" voix.
Car en elle, elles sont multiples et tout ce qu'elle va exprimer est un long voyage en solitaire encombré parmi ces voix qui l'accompagnent en permanence, qui ont pris des formes hétérogènes et saugrenues : une petite fille, un morse, un garçon des bois et Dieu...
Cette plongée dans ce cauchemar multidimensionnel constitue l'essentiel du texte de "Voix". Il faut justement une voix et une présence comme celle de Valérie Dréville pour tenir en haleine le public, le laisser pantois passer de l'ignorance de cette forme de maladie à sa connaissance rabâchée par tous les intervenants.
Et puis, il faut la puissance de l'écriture de Gérard Watkins et enfin son imagination de metteur en scène pour que tout cela prenne vraiment corps et dépasse la simple exposition clinique. Ce sera la "surprise" de la seconde partie de "Voix", après l'ouverture du passage "secret", celui qui est derrière la fameuse porte en tôle ondulée.
On est quelque part entre l'univers foutraque d'Alice et une séquence surréaliste aux couleurs vives. On est face à l'hypothétique résolution finale, à la guérison improbable du trauma par une parade musicale, une catharsis réglée au piano échevelé de Camille Prenant.
Depuis "Scènes de violences conjugales" et plus récemment "Ystéria", on sait que Gérard Watkins est parmi les auteurs dramatiques francophones les plus marquants. Il franchit peut-être encore une étape dans "Voix" et immerge son spectateur dans un méta-réel qui lui laissera le sentiment que le théâtre ici a fait ce qu'il devait faire. |