Comédie dramatique de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre, mise en scène de Marion Siéfert, avec Emilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Louis Peres et Charles-Henri Wolff.
Mara, une jeune collégienne d'un milieu modeste dont les parents ont bien du mal à joindre les deux bouts, vit dans le virtuel, plongée dès qu'elle le peut dans un jeu vidéo en ligne où son avatar vit des aventures pleines d'action. Elle, rêve d'être actrice.
Un jour, elle est abordée par un autre joueur plus âgé qui lui propose de faire partie d'un nouveau programme : "Daddy" où elle pourra mettre à profit ses dons de comédie... Et la voilà propulsée dans un jeu aussi cruel que réaliste où, à 13 ans, elle est peu à peu confrontée au désir, à l'apparence et à la cruauté.
Prenant pour point de départ les relations numériques et l'emprise psychologique et financière que des hommes sur des proies, en l'occurrence une pré-adolescente comme Mara, Marion Siéfert après un travail documentaire sur les abus sexuels a écrit avec Matthieu Bareyre le texte de "Daddy".
Le texte décortique les mécanismes de la cyber-pédophilie. Le jeu vidéo est décrit dans la pièce dans ce qu'il a de plus aliénant, malsain et vertigineux. Il est question de séparatisme social également et de l'univers du luxe qui contribue à créer de faux désirs chez les jeunes filles et par là, moins de défenses aux sollicitations des prédateurs.
L'abus est le fait de deux hommes riches : Julien le jeune et Big Daddy, le créateur du jeu. Tous deux portent en eux les stigmates d'une société malade et déshumanisée qui se traduit par une vie totalement coupée du réel et une frustration que la course à l'argent ou à la perversité sexuelle illusionne mais ne comble pas, les éloignant toujours plus.
Emilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Louis Peres et Charles-Henri Wolff sont tous épatants dans cette descente aux enfers où les numéros s'enchaînent tantôt grotesques, tantôt effrayants.
Mention spéciale à la benjamine Lila Houel (Mara), prodigieuse, qui accomplit une performance qui impose le respect. Elle tient son personnage avec une présence rare, un sans-faute et une intelligence de jeu impressionnante. Quant à Louis Peres (Julien), il est parfaitement glaçant.
La mise en scène magistrale de Marion Siéfert se plaît à mélanger les époques à grands renforts de costumes, d'effets spéciaux et de références au septième art. La scénographie de Nadia Lauro qui fait évoluer les protagonistes dans un univers nébuleux et éthéré donne un peu plus à ce spectacle une dimension onirique.
Critique de la société actuelle, du règne du paraître et de la gloire factice à l'image des chorégraphies lascives des héroïnes du programme comme Jessica qui, pour rester en jeu, doivent être toujours plus provocantes, la pièce est sans concession. Marion Siéfert fait grandir le malaise jusqu'à l'écoeurement.
Plongée fascinante dans un univers apocalyptique, représentatif des dérives du net, "Daddy" est une démonstration implacable des dangers du virtuel. La dernière image, sublime, et cette ouverture sur le réel, résume à elle-seule la volonté de Marion Siéfert avec ce spectacle : soigner les maux des hommes. |