Christophe Dabitch & Piero Macola
(Editions Futuropolis) septembre 2023
Ceux qui me connaissent se doutent que je ne pouvais pas passer à côté d'un livre qui parle de Venise.
C'est donc avec enthousiasme que j'ai fait l'acquisition de Le passeur de lagunes à la couverture très explicite. Un polar à Venise.
Cet ouvrage est l'œuvre de Christophe Dabitch au scénario et de Piero Macola aux dessins. Un français qui propose donc une histoire loin des clichés touristiques de la ville et un vénitien qui en saisit parfaitement l’âme et la dessine avec grâce.
L’histoire d’abord, que l’on pourrait imaginer banale : un adolescent de 16 ans et ses copains qui se lancent dans un petit trafic, un homme qui disparaît sans crier gare sans que personne ne sache ni où, ni pourquoi. Ces deux-là sont liés par le sang, un père et un fils. Mais finalement, ce qui est raconté autour de cet histoire de disparition n’est qu’une trame pour aller bien au-delà d’un simple polar. On y parle immigration, racisme, trafic de drogue et guerre de territoire.
L’histoire est racontée avec une certaine économie de mots et c’est le dessin qui va brillamment compléter cette narration. Et pas n’importe comment. Si on est surpris par les traits assez “bruts” des personnages, on reste immédiatement scotché par la beauté des cases représentant Venise. Les aquarelles de Piero Macola sont remarquables, les couleurs, le trait croquent parfaitement la lagune vénitienne (quasiment le personnage principal) et même si les images auxquelles on pourrait s’attendre ne sont pas au rendez vous (les rues de Venise sont très peu présentes, les monuments également), on se laisse porter par les images sublimes de la lagune, des lagunes, et leurs couleurs qui font se confondre ciel, eau et terre : "le clair c’est le sable".
Ce qui fait la force de la narration, ce sont aussi les images qui se glissent au fil de l’histoire, sans texte, sans rapport réellement direct avec l’histoire principale mais qui en tout cas, pour qui connaît un peu Venise (et pour tout un chacun, je pense) évoque beaucoup de choses de la ville (les digues mobiles "Moïse", les grands bateaux de croisières, etc.).
On apprend aussi que les digues fixes prétendument salvatrices contre les acqua alta sont aussi des murs pour empêcher quiconque de pénétrer dans Venise sans autorisation. Une façon "facile" de mener la vie dure aux migrants, on y voit des policiers moqueurs face aux mêmes migrants, on y voit des migrants déjà bien installés essayer d’effacer leur passé en prenant symboliquement un prénom italien, on y voit une Venise pas si clichée que ça, loin du tourisme de masse qui la tue à petit feu. On y voit une Venise dans son quotidien, une Venise tourmentée et chahutée.
Une Venise que l’on voit peu, que l’on devine, que l’on imagine, avec ce sentiment que rien n’existerait sans cette lagune, magique, secrète, dangereuse et salvatrice.
C’est une belle histoire, mais c’est surtout un beau livre, visuellement d’abord, mais aussi dans ce qu’il porte comme sujets de réflexion à propos de notre société actuelle.
Un bel ouvrage donc que ce Passeur de lagunes chez Futuropolis.
Un titre en hommage à Shane McGowan disparu cette semaine après avoir vécu une vie comme s'il n'en avait qu'une et il avait sans doute bien raison. Et puis c'est bientôt noel, le temps des cadeaux alors voici notre sélection hebdomadaire.