Il y a quelques années, on pouvait encore se demander si les Snobs étaient bien sérieux. Ces deux frères aux pseudonymes cocasses ("Mad rabbit" et "Duck feeling"), qui proposaient en téléchargement gratuit des albums autoproduits ne dépassant pas une demi-heure, poussant la plaisanterie jusqu'à proposer un EP de moins de 5 minutes (Karcher EP, 2005), n'étaient-ils réellement que des plaisantins, qui n'auraient retenu des expérimentations sonic-youthiennes qu'un art subtil de la provocation par l'extrême, où la concision et l'atmosphère angoissante des morceaux le disputent à leur concision ?
Avec l'album précédent, Clean your moustache (2005), on avait pu commencer à en douter, tant il est vrai que les morceaux semblaient s'étoffer, la musique gagner en sérieux.
Avec ce Beatniks in the USSR , il n'y a plus de place pour le doute : sans renier leur univers décalé, leurs sonorités brutes, parfois agressives tant elles sont dissonantes, ni même un certain goût pour la prouesse créative aux allures provocantes de gratuité, les Snobs réussissent à donner à leur répertoire une ampleur que l'on n'osait trop espérer, où l'intéressant et l'expérimental savent faire la place à l'écoutable – au simple sens de l'agréable à écouter.
Les plus puristes, masse indistincte de nihilistes, d'avant-gardistes de premier ordre et de même degré, de dadaïstes survivants et d'élitistes néo-grognon, ces plus puristes-là, peut-être, déploreront que les Snobs aient perdu de leur radicalité, pour flirter même, du côté de la pop music ("Antidote"). Mais si les Snobs s'acoquinent de pop, ce n'est encore que pour la distordre, la massacrer, même, en proposer une version démente, grotesque comme un cauchemar enfiévré. Que l'on songe encore au sort qu'ils font subir à leur "I want you (so)" , dont on pensera certainement qu'il aurait pu être un tube (si…), et l'on verra que si la référence aux Beatles est claire quant au titre, la filiation musicale, elle, n'est rien moins qu'assurée.
Dire que les Snobs se sont assagis serait mensonger. Il semble bien en revanche qu'après avoir expérimenté de façon forcenée, ils aient fini par trouver quelque chose, qu'ils aient dompté leur penchant naturel pour une créativité jubilatoire et débridée, le mettant au service d'une sensibilité qui trouve ainsi enfin à s'exprimer.
En témoigne le dernier titre de l'album, "Brian Jones was shot down by the KGB" . S'étirant sur près de douze minutes, cette composition instrumentale minimaliste aurait très bien pu n'être qu'un pied de nez. Loin de là, on se surprendra à la réécouter, à la repasser dans sa tête, à inventer des images, scènes de films muettes, qui pourraient l'illustrer. Sachant enfin s'apaiser sans pouffer de rire, les Snobs montrent d'eux un nouveau visage qui ne peut qu'enrichir leur propos.
Petit à petit, les Snobs grandissent. Avec toujours la générosité de la gratuité (toute leur discographie est autoproduite et téléchargeable gratuitement sur leur site), ils prennent une ampleur inattendue, plus grande à chaque opus.
Pas de rupture dans leur biographie, mais une croissance continue, en douceur, qui permet de suivre leur cheminement, avec attention, avec délectation, tant il est vrai que chaque nouveau pas de ces enfants terribles du rock indépendant français est émouvant.
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