C’est dans l’après-midi que j’ai eu le plaisir d’échanger avec Nicolas Jules, avant le concert le soir même, dans le cadre du Festival des Poly’sons de Montbrison, organisé par le Théâtre des Pénitents et délocalisé cette année, pour cause de travaux, à l’Espace Guy Poirieux.
Peux-tu te présenter ?
Nicolas Jules : Je m’appelle Nicolas Jules, je fais des chansons, parce que je ne sais rien faire d'autre.
C’est arrivé par hasard. Je crois que j’ai toujours eu envie de m’exprimer d’une façon ou d'une autre, dans ma famille j’avais du mal à m’exprimer. J’ai essayé la sculpture, la peinture, un peu de dessin, j’ai essayé le théâtre et la bande dessinée. J’aimais faire tout ça et puis à un moment donné, par hasard, je suis allé voir un groupe de rock qui répétait, j’avais 18 ans, ils n’avaient pas de chanteur. Ils m’ont dit de chanter, comme ça.
Je n’imagine pas qu’il y ait des incidences comme ça. Un après-midi dans une cave, c’est sympa, c’est comme jouer à un jeu de société ou un jeu vidéo. Tu ne penses pas que tu vas faire ça la semaine d’après, puis j’ai fait ça la semaine d’après, puis on a fait un concert. J’ai enchaîné les concerts. En fait, je faisais des chansons et j’ai mis du temps avant de me dire : "tiens, je fais des chansons". A partir de là, j’ai arrêté de chercher un métier.
Une vocation d’artiste très précoce ?
Nicolas Jules : A 18 ans, mais à 18 ans je chante et j’écris des textes. J’ai appris la guitare après. C’est un hasard. Je trouve que faire des chansons ça me correspond bien. J’aime écrire, j’aime former la musique, dessiner, j’aime le théâtre, je peux tout faire en même temps. Si je n’étais pas rentré dans cette cave, qu’est-ce que je ferais aujourd’hui ?
Il y a beaucoup de gens, à des âges très divers, qui n’ont pas rencontré leur passion. Malheureusement. Moi je connais des gens qui ont rencontré leur passion à 50 ans, à 70 ans, parfois jamais. Moi je l’ai rencontrée à 18 ans.
Nous allons faire connaissance : si tu avais la possibilité de jouer avec l’artiste de ton choix, vivant ou non, qui choisirais-tu ?
(Silence)
Nicolas Jules : C’est une question délicate. Les musiciens que j’aime ne sont pas du tout dans mon univers. Donc il y a plein de musiciens que j’aimerais rencontrer mais cela ne veut pas dire que j’aimerais jouer avec eux, parce que je ne m’en sentirais pas capable. Je ne sais pas si je dois réfléchir entre ceux que je préfère ou ceux avec qui je me sentirais capable de jouer. C’est super dur.
(Silence)
J’adorerais voir, pas forcément travailler avec lui, mais voir en studio Tom Waits. J’adorerais le voir travailler, déplacer les meubles et les micros parce que je sais qu’il fait ça.
Je dirais que les gens avec qui j’ai envie de jouer sont des illustres inconnus, mais que j’ai rencontré, par exemple, Roland et Fred, qui seront sur scène ce soir, je rêvais de jouer avec eux. Je pourrais te citer des gens, mais ils sont inconnus.
Pourquoi pas si ça les fait connaître ! J’ai découvert Franck Martel en lisant tes posts.
Nicolas Jules : J’ai fait un disque un jour avec Urbain Desbois et j’aimerais bien refaire un disque avec lui. Et c’est quelque chose de possible. C’est un musicien méconnu et c’est un guitariste. Si je devais jouer de la guitare j’aimerais jouer comme lui. Il le sait.
Qui t’a donné envie de faire de la musique ?
Nicolas Jules : Il n’y a pas d’artistes qui m’ont donné envie de faire ce qu’ils font. Je crois que c’est pour ça que je fais des chansons pour faire autre chose. S’il y avait eu un chanteur qui m’aurait fait dire "wahou je veux faire ce qu’il fait", je n’aurais sûrement pas fait de chansons.
Je fais des chansons dans les creux, dans les failles, dans les interstices, je me glisse dans des endroits qui ne sont pas occupés. J’ai l’impression d’être une sorte de chauve-souris qui habite des endroits inoccupés.
Mais c’est vrai que la première fois que j’ai été interpellé par une chanson, je m’en souviens très bien, j’avais 5 ou 6 ans et c’était une chanson de Brigitte Fontaine, un disque même : Brigitte Fontaine est... folle !, dans lequel entre autres il y a un duo avec Jacques Higelin.
La première chanson que j’ai écrite vers 12 ans, c’est en m’inspirant d’une chanson de Jacques Higelin. Le point de départ a été ça. Et les premières chansons que j’ai écrite à la guitare, en apprenant la guitare, c'est en écoutant des disques de John Lee Hooker. C’est autre chose.
Un autre univers !
Nicolas Jules : L’univers grandit avec le temps et les musiciens que j’écoutais quand j’étais ado, je les écoute toujours, sauf que j’en écoute de plus en plus parce que j’en découvre de plus en plus. On va dire que l’accroche de la chanson s’est faite avec Brigitte Fontaine, le déclic d’écrire avec Jacques Higelin et celui de jouer de la guitare avec John Lee Hooker.
On ne retrouve pas tes albums sur les plateformes de streaming, peux-tu nous expliquer ce choix ?
Nicolas Jules : C’est compliqué. Je vais sortir un disque qui va être le dixième, plus un live. Les 5 premiers étaient distribués et on les trouve sur les plateformes. Les 5 derniers n’y sont pas, par choix.
Parce qu’on dit souvent que les musiciens sont spoliés par les plateformes et ne touchent pas d’argent, ce qui est vrai. Il faut que le public le sache. Beaucoup de gens pensent que d’écouter les artistes sur les plateformes, c’est les soutenir. Les plateformes escroquent les musiciens.
Mais ce n’est pas ça qui me motive à ne pas y être. Je suis prêt à donner ma musique gratuitement. Ce qui m’empêche d’aller sur ces plateformes, c’est que ça génère beaucoup d’argent, qui ne va ni au public ni aux musiciens, mais aux plateformes. Et ça me gêne que des gens qui n’ont rien à voir avec la musique, qui ne sont ni artistes ni mélomanes, ni des soutiens qui œuvrent pour le bien de tout geste artistique mais pour le bien de leur porte-monnaie. Cela ne me gêne pas de pas être payé, mais ça me gêne qu’il y en ait qui se gavent !
Est-ce que le fait d’être plus indépendant vis-à-vis de ses plateformes ne rend pas plus difficiles de trouver des dates de concerts ?
Nicolas Jules : Non ! Je tourne énormément. Par contre, je ne sais pas si j’ai raison de penser comme ça. J’ai des copains, dans l’underground comme moi et qui me disent que je me coupe d’un public comme ça. Peut-être qu’ils ont raison, mais je n’ai pas l’impression qu’ils en touchent plus que moi.
Ça ne change rien aux concerts. Je rencontre des gens, régulièrement, qui aiment ce que je fais et qui me disent je vais aller écouter sur les plateformes. C’est leur droit, mais ils ne vont écouter que des vieilleries.
J’ai l’impression que mes chansons sont de plus en plus affranchies, notamment physiquement, parce que c’est l'idée d'avoir un univers de plus en plus singulier. Et cette singularité ne va pas toucher les gens qui consomment la musique de cette façon.
Sauf erreur de ma part, tu n’es sur aucun label non plus ? Par choix ?
Nicolas Jules : Au départ il n’y en a pas, parce qu’aucun ne veut me signer. C’est la première période.
La seconde, il aurait pu y en avoir, parce qu’un ou deux voulaient me signer. Je les ai rencontrés et je ne me sentais pas du tout en osmose avec eux. Ce sont des gros labels. J’avais une vision peut-être puriste, je voulais faire de la musique et au mieux possible. Et très vite, on me sort des éléments de langage. C’est toujours la même chose, quelqu’un va sortir du lot, sa musique va se vendre, parce qu’il a une personnalité qui fait que ça se vend et tout le monde va s’engouffrer dans des modèles proposés.
A chaque fois que je rencontrais des labels, ils me proposaient des choses qui existaient déjà et moi, ce qui m’intéresse, c’est de faire de la musique qui n’existe pas.
La troisième étape, aujourd’hui. Je me dis que je n’ai pas forcément besoin de label. J’ai besoin de faire la musique que j’aime. Je ne touche pas un grand public mais, ce qui m’importe, c’est de faire. C’est peu connu, je suis dans une niche, une faille, un interstice, mais je fais.
A l’inverse, tu es très actif sur Facebook notamment. Avec des histoires, vraies ou pas, la présentation du futur album, très originale (NDLR : je vous invite à aller voir). C’est un passage obligé ?
Nicolas Jules : L’idée, c’est d’essayer d’être singulier. Mon principal défaut, quand je fais mon autocritique, je ne me trouve pas assez aventurier. Je me fouette, en me disant vas-y. J’ai la chance de n’avoir personne pour me dire où aller. J’ai la chance de pouvoir aller à gauche ou à droite. Mon défaut, c’est ça. De ne pas assez me perdre. C’est ça qu’il faut faire : aller dans des endroits où on n’est jamais allé. C’est ce que j’essaie de faire. C’est comme si je me mettais des alarmes.
J’ai l’impression que dans la façon de communiquer, tous mes copains chanteurs, qui sont dans la même sphère que moi, très underground, les petits essaient toujours de copier les gros, même dans la façon de communiquer. Si on veut vraiment inonder les ondes, il faut de gros moyens que nous n’avons pas. J’essaie autre chose.
Cette idée des lettres, ce n’est pas grand chose, cela ne va pas toucher beaucoup de gens, le public est déjà là mais le bouche-à-oreille, ça ramène une nouvelle personne qui se dit : "tiens, lui il ne fait pas pareil". J’essaie aussi de ramener quelque chose d’un peu humain.
Je te montre mon téléphone (rires) (NDLR : c’est pas un smartphone, mais un téléphone avec des touches).
J’ai noté que tu jouais très souvent avec les mêmes musiciens, c’est important pour toi ? Tu leur demandes leur ressenti ? Tu écris en fonction d’eux ?
Nicolas Jules : Il y a deux choses, totalement différentes, la scène et le disque. Quand je fais un disque, je me pose la question de savoir si je vais jouer avec eux, d’autres musiciens ou tout seul. Il n’est pas exclu qu’un jour j’invite d’autres musiciens. Je ne pense pas du tout à la scène. Et ils proposent beaucoup. J’arrive avec des arrangements un peu solides et après je les laisse. On improvise beaucoup ensemble. Parce que Fred joue très bien du violon et moi je n’ai pas des idées de violoniste. Après, quand on joue sur scène, on repense nos chansons, on ne peut pas les refaire comme sur le disque et ça ne pose pas de problème que les chansons soient différentes. Sur disque, il peut y avoir 5 ou 6 guitares, deux batteries. Ce n'est pas le même travail.
Où puises-tu ton inspiration ? Notamment des titres comme "Douze oiseaux dans la forêt de pylônes électriques" ou "La nuit était douce comme la queue rousse du diable au sortir du bain".
Nicolas Jules : C’est très simple. Je pense que la poésie qui m’anime beaucoup, l’écriture, c’est de la réalité. On est dans un monde où tout est fait pour nous éloigner de la réalité, les écrans c’est le virtuel tout le temps, une maison où l'on va chercher du confort, quelque chose chauffé, des murs pour se protéger, à fuir la réalité qui est assez violente.
Je pense que la poésie c’est la réalité, c’est pour ça qu’elle n’est pas très bien vue et qu’on essaie de la tuer. Je ne pense pas que la poésie soit omniprésente dans notre vie. Elle est comme un oiseau en voie de disparition. La poésie disparaît de plus en plus, même dans la musique. Et moi j’essaie de la faire vivre modestement.
Ce titre ça veut dire ça : 12 oiseaux, parce que 12 chansons, c’est comme des oiseaux menacés, dans la réalité, c’est-à-dire une forêt de pylônes électriques, quelque chose de menaçant. Je dis en une phrase : voici douze chansons fragiles dans un environnement qui veut les tuer. C’est une phrase apparemment alambiquée mais c’est extrêmement concret.
J'écris des choses très concrètes, on croit que j’ai toujours l’air dans la lune, peut-être à cause de mes cheveux mal coiffés, mais j’ai l’impression d’être extrêmement terrien !
Tu te sens plus poète, musicien, chanteur ou rien de tout ça ?
Nicolas Jules : A la fois, tout et rien ! C’est ce qui m’intéresse dans la chanson, c’est tout ça. peut-être que je ne suis pas assez poète pour n’être que poète et pas assez musicien pour n’être que musicien, alors je fais des chansons.
J’aime bien parce que c’est aussi un art assez pauvre, qui demande peu de moyen. Éventuellement un stylo et encore on pourrait faire des chansons sans les écrire, simplement par l’oralité, ça demande éventuellement un instrument, une guitare ce n’est pas très très cher. Et ça peut se faire n’importe où et n’importe quand.
J’aime bien cette idée que contrairement au cinéma où il faut une équipe, des moyens, la chanson peut être très immédiate et c’est aussi un peu une traque. L’idée, c’est de surprendre les autres et avant tout se surprendre soi-même. Quand on écrit quelque chose et qu’on n’est pas surpris soi-même, c’est comme si on avait écrit une liste de commissions.
J’aimerais que tu nous parles de ce qui se profile !
Nicolas Jules : L’album est en train d’être fabriqué. Il est dans une usine, on attend qu’il sorte des tuyaux. Il va sortir, je pense dans un mois. En fait, il n'y a pas d’impératifs commerciaux. Quand je fais un disque, je dis aux gens si vous voulez il est là. C’est tout. Il y aura des gens rares, passionnés, underground, comme toi, qui vont en parler. Il y aura des gens qui font des émissions de radio, des journaux, qui n’ont pas de grandes diffusions. En fait, on travaille ensemble : musiciens underground et journalistes underground. Je n’ai pas la clé des grandes portes.
Tu le sortiras quand tu veux.
Nicolas Jules : Je crois que c’est beaucoup d’énergie pour faire les choses. J’en suis sûr. L’énergie qu’on met dans un disque s’il faut attendre après que l’attaché de presse soit connecté avec untel ou untel, moi ça m’épuise.
J’ai l’impression que faire un disque c’est comme allumer un feu sous la pluie, c’est difficile, on a la flemme, il faut s’y mettre. Donc quand le feu est chaud, il ne faut pas que je le laisse s’éteindre. Le disque est là et ce que je fais toujours, c’est que j’en entame un autre dans ma tête. Là le disque n’est pas sorti, j’ai déjà le prochain dans la tête, parce que sinon le feu va s’éteindre et ça va prendre du temps pour le rallumer.
Tu es en constante création ?
Nicolas Jules : Oui. Si je suis trop fatigué, je vais arrêter, ça m’est déjà arrivé. Je mettrai plus de temps à recommencer.
Quelle oeuvre offrirais-tu à ton ou ta meilleure amie si vous étiez amené à être éloigné l’un de l’autre et qui évoquait votre amitié ?
Nicolas Jules : Houlala c’est très dur comme question ! Je pense que j’offrirais un livre de poésie parce que c’est ça qui est me parle le plus.
(Silence)
J’offrirais un livre de poésie d’une femme que je ne connais pas personnellement mais qui est décédée dernièrement : Myriam Cliche. Parce que les livres que je préfère sont souvent des livres de poésie. Mais quand je dis ça en vrai j’aime moins de 1% de ce qui se fait en poésie. En vrai je n’aime pas grand-chose (rires) mais quand j’aime quelque chose, j’aime très fort !
Tu es un passionnel !
Nicolas Jules : Si tu me mets devant un mur entier de disques, sur 10000 je vais en sortir 10. La poésie c’est pareil. J’aime éperdument mais je peux être assez mauvais public. Je comprends mal la vie et l’avis des gens. C’est comme ça, on est tous fait de goûts différents et je me sens souvent inadapté. Il y a des choses qui me paraissent bouleversantes et laissent les autres indifférents et inversement. Je me dis que quelqu’un a un problème et c’est peut-être moi.
Un dernier mot ?
Nicolas Jules : Je peux dire aux gens, qui croient que pour moi la vie ce sont les concerts, et les disques sont à côté, que non. Ma vie, c’est largement autant les disques que les concerts et je pense que si je devais arrêter de chanter (ce qui n’est pas mon but), j’arrêterai plus facilement de faire des concerts que des disques. Je préfère même parfois faire des disques, bizarrement. Parce qu’un disque, c’est plein de fantasmes qu’on peut réaliser, inviter des gens, on peut recommencer, des erreurs. Sur scène, on peut mais si on en fait trop, les gens se barrent ! On est tenu à un résultat !
Merci beaucoup pour ce moment que Nicolas m’a consacré. Merci aussi à Roland et à Frédéric avec qui j’ai pu échanger avant et après le concert. Merci (oui je suis une groupie aussi) à Nicolas de m’avoir offert un disque et aux trois musiciens de me l’avoir dédicacé. |