Ça commence en demi-teinte. Tout doux. Assez pour qu'on se dise "la pop envahit tout", comme les mauvaises herbes, comme les insectes – je n'aime pas la pop. Ici , Il y a des guitares élevées au shoe-gazing – autant dire en plein air ; il y a un batteur qui frappe sec et fort, appuyé, noyant ses rythmiques dans les bruissements multiples de cymbales ; il y a une voix qui fait penser à Woven Hand, à Interpol et même à Pearl Jam ; mais il y a aussi cet indescriptible arrière-goût de pop dans le premier album de Redjetson, New general catalogue.
Pendant une heure, cet arrière-goût ne s'effacera jamais totalement, pas même le temps de ce frénétique et jouissif "A reptile cold blood" qui donne au milieu de l'album un point de pivot des plus solides. Mais il s'estompera, parfois, pour laisser place, à côté de la pop, à d'autres ambiances, plus ou moins épaisses, plus ou moins éthérées, plus ou moins rock – voire post-rock, quoique l'on soit bien loin ici des compositions instrumentales interminables, introspectives et / ou armagédoniennes qui ont fait la fortune du genre. La musique de Redjetson a quelque chose de plus intime – intimement pop. Mais pas de cette intimité carton-pâte qui ne sait parler que de peines de cœurs, avec une retenue frôlant l'apathie. Bien avant la fin des 7'40 de "Divorce", le titre d'ouverture, les légèretés doucereuses appuyées par de langoureuses nappes guitaristiques, se seront emportées, emportant l'auditeur ; la voix se tait. A la musique de dessiner, s'il se peut, les paysages d'une sensibilité qui se refuse à arborer bleuette fleurette à la boutonnière.
Ça continue en demie-teintes, de ces teintes non pas tièdes, mais nuancées, qui savent ne pas trancher, par subtilité plutôt que par manque d'engagement. Avec un tel premier album, qui sait parfaitement marier des saveurs d'horizons étrangers, du plus léger au plus lourd, Redjetson s'engage au contraire, et totalement, pour une musique élaborée, aux influences complexes, aux lignes sinueuses.
A ce jeu, si la pop est port d'attache, le cap, quel qu'il soit, ne peut qu'en éloigner résolument – pour y revenir finalement, décharger une cargaison hétéroclite de denrées exotiques et de souvenirs de voyages. Il s'agit donc moins de pop-popisante, pop-starisante et pop-obsessionnelle que d'une free-post-pop, qui rock et qui roll, dans des terres étrangères et étranges, se fait inventive pour inviter à de nouvelles alliances entre le doux et le brûlant, le sucré et l'amer.
D'où l'absence de format pop à proprement parler sur l'album : ni couplet, ni refrain, ici, la voix naviguant en eaux plus troubles, au gré des errances aériennes de mélodies tissées en toute apesanteur, des courants de fonds d'une basse ronde et grave.
Je n'ai jamais aimé la pop – que l'on ne me demande pas pourquoi – mis à part quelques petites choses de-ci de-là, elle ne m'a jamais laissé dans la bouche qu'une fadeur filasse. Mais Redjetson, avec sa manière de ne pas en jouer, de jouer, à vrai dire, tout autre chose que de la pop, en ne jouant finalement que cela, et même mieux peut-être qu'on n'en joue bien souvent, mais d'une pop épaisse et saturée, électrisée, puissante, réussit avec brio un difficile tour de passe-passe. A ma plus grande joie. |