Après une journée off bienvenue pour faire un petit reset auditif, suite à la découverte de 38 groupes et chanteurs en un peu plus de 72 heures, il est temps de retourner écouter les nouveaux artistes de la scène francophone canadienne. On peut néanmoins déjà faire quelques remarques. D'abord, le rap est de plus en plus présent sur cette scène, une forme de rap familial bisounours (calinours au Canada). La scène rap au Québec s'est développée depuis une dizaine d'années seulement, et l'autotune n'y est pas encore incontournable. Ensuite, par rapport aux éditions précédentes, la thématique du genre et de la transidentité semble être moins présente dans les chansons. Je m'attendais, à tort, à ce que cette thématique soit remplacée par l'éco-anxiété et une présence plus affirmée de groupes des premières nations. Ce n'est pas le cas.
De bon matin, devant un café, la dernière ligne droite commence pour les professionnels présents au Festival International de la Chanson de Granby. On commence en faisant connaissance avec Miro Chino. Il s'agit d'un jeune auteur-compositeur-interprète québécois qui mélange allégrement hip-hop, folk et reggae, s'inspirant d'artistes comme Patrick Watson ou Mac Miller. Initialement attiré par le rock et le folk, Miro Chino a participé au Festival international de la chanson de Granby en 2022 participant même à la finale. Il a lancé son premier album, Bon Times, Bad Times, chez Bravo en 2023, et vient d'être nommé Révélation Radio-Canada 2024-2025 malgré une diction parfois un peu hésitante. On aimerait que quelques chansons plus énergiques ponctuent le set afin de créer un effet de contraste. On passe néanmoins un très bon moment en sa compagnie.
San James est une autrice-compositrice-interprète montréalaise. Après des trois EP principalement en anglais, elle décide de se tourner vers le français avec son premier album, Épilogue, paru en début d'année. La voix est expressive et les mélodies accrocheuses dans un style pop bien affirmé. San James est accompagnée d'un guitariste et de Simon Lachance, un chanteur déjà présent sur la scène québécoise depuis pas mal d'années, à la batterie. Le style pop à l'anglo-saxonne de San James donne de l'énergie aux spectateurs.
En début d'après-midi, le FICG investit la rue principale pour une parenthèse country. Steven & Steeven est un duo musical québécois composé de Steven Grondin au chant et à l'harmonica, et de Steeven Fortin à la guitare. Originaires de la Beauce (celle du Québec), ils ont débuté comme groupe de reprises durant 7 ans avant de sortir leurs propres compositions. Le duo a donc du métier puisqu'ils ont sorti leur premier single, "Millionaire" en 2018. Il s'agit de folk classique et pop-rock avec des accents blues. Leur tout nouveau projet se nomme "120e Rue". Le public est séduit.
Sugar Crush est un duo canadien de musique trad-country, formé par Joanie Charron et Marie-Soleil Provost. Originaires de Gatineau, elles ont remporté le prix du public au Gala Country 2022. De la country girlie, on n'est pas habitué et ça se révèle amusant pour s'initier au square dance.
Guillaume Lafond est un jeune chanteur country québécois qui a participé à Star Académie en 2021, émission durant laquelle il a collaboré avec Ariane Moffatt. Beau gosse aux yeux bleus de 25 ans, il s'est tourné vers le country américain. Ses chansons parlent de famille, d'amour, d'amitié. On a l'impression d'une traduction fidèle de textes de la country américaine. Son premier album, À destination produit par Mario Pelchat, est sorti en 2022. On gardera un bon souvenir de sa prestation.
Alex Nevsky est né en 1986 à Granby. Diplômé de l'École nationale de la chanson de Granby en 2007, il a fait ses débuts sur la scène musicale en participant au FICG en 2009. Son premier album De lune à l'aube lui a valu d'être nommé Révélation Radio-Canada Musique 2010-2011. Son second album, Himalaya mon amour, sorti en 2013, a connu un grand succès critique et populaire. Alex Nevsky a remporté plusieurs prix Félix au Gala de l'ADISQ, notamment pour l'interprète masculin de l'année et la chanson de l'année en 2014.
Dans la rue Principale, devant le Palace où se déroulera peu de temps après la finale, accompagné d'un quatuor composé d'un cor anglais, d'une flûte traversière, d'un violon et d'une contrebasse, des chansons de son répertoire et de nombreuses pièces instrumentales. En enfant du pays, il joue la carte de la proximité pour les 150 personnes qui se sont déplacées. Il faut dire qu'il a remplacé Laurant Boréal, à la dernière minute. C'est un moment de grâce lorsqu'il chante, sans aucune amplification, au milieu des spectateurs, accompagné par le quatuor et le chant des grillons alors que le soleil commence à se coucher. Son tube, "Les Coloriés", repris en chœur par tous les spectateurs a été l'occasion d'une magnifique communion avec le public. Ce fut un des grands moments de cette 56ème édition du FICG.
Vient enfin le moment tant attendu par les finalistes du concours Hydro-Québec. Présenté par Monsieur PY, l'animateur radio et télé qui monte en ce moment au Québec mais aussi DJ house, on y retrouve Mercure, Léa Deschênes, Jérémie Arsenault, Louis-Julien Durso et Vaëlle.
Mercure, dans un style mélangeant rock indé 90's et rap, sont très bons, même si je les ai trouvés légèrement en-deçà de leur prestation en demi-finale.
La folk très douce et touchante de Léa Deschênes, très efficacement soutenue par le house band conduit par André Papanicolaou, accompagnateur régulier de Vincent Vallières, fait mouche.
Jérémie Arsenault donne de la voix. Son histoire personnelle est à l'origine de ses chansons. Il sait transmettre des émotions, mais son style chanson à textes me séduit moins.
Je n'adhère pas du tout à la prestation de Louis-Julien Durso. J'ai l'impression de voir une parodie de Charles Aznavour imité par Thierry Le Luron chez les Carpentier dans les années 70. Culturellement, on remarque un décalage avec le public québécois qui semble séduit par les chansons et le personnage théâtral à l'excès.
Enfin Vaëlle, prix du public lors des demi-finales, passe en dernier. Ses chansons d'inspiration 80's sont efficaces et restent en tête. Elle rappelle un certain nombre d'interprètes féminines du Top 50, dont on ne se souvient que pour un seul titre, comme Jakie Quartz, Stéphanie ou Sandra. On lui souhaite une carrière plus longue que ces gloires éphémères.
Pendant que les bulletins sont comptés en vue de déclarer le vainqueur de la 56ème édition, c'est le vainqueur de l'année précédente qui vient interpréter les morceaux de son premier album. Émile Bourgault a sorti son premier album, Tant Mieux, en avril dernier. Tout comme l'année dernière, je n'ai pas été séduit par les compositions du jeune homme.
Les principaux prix de ce concours, essentiellement des prestations et des tournées, dont la tournée européenne, sont allés à Vaëlle. Mais de nombreux concerts à travers tout le territoire canadien ont aussi été remportés par Léa Deschênes. Fabienne Thibault, qui a elle-même remporté de grand prix de ce concours en 1974, soit 50 ans auparavant, est présente pour remettre le prix tant convoité. Fabienne Thibeault rappelle avec justesse aux candidats que le fait de gagner un concours n'assure pas de connaître le succès auprès du public, et aussi que bien des candidats écartés lors de concours ont réussi des carrières flamboyantes.
Comme spectateur, j'aimerais dire aux candidats, lorsqu'ils passent à deux ou trois jours d'intervalle devant quasiment le même public, de modifier légèrement les textes de leurs interchansons. Les mêmes mots de présentation énoncés à l'identique perdent de leur authenticité. La palme du pire va à Mercure dont le chanteur va jusqu'à saluer le public en fin de représentation d'un même "Sayonara !" qui semble dès lors totalement faux. De même, moins parler et éviter les formulations dithyrambiques mais creuses lors de leur présentation. Autre conseil, ne pas oublier l'aspect visuel lors des concours. Lorsqu'un jury voit 24 candidats, le détail qui attire l'œil, celui dont on se rappelle, est presque aussi important que la prestation elle-même si on passe parmi les premiers candidats. Ainsi la robe rouge et le bibi de Léa Deschênes sont bien plus efficaces que la veste de Jérémie Arsenault, qui en plus n'est pas en accord avec son univers. Enfin, chercher à passer en dernier. Le public, de même que les pros, ont une mémoire de poisson rouge.
En conclusion de cette très belle 56ème édition du festival de la Chanson de Granby, on peut dire que la relève de la chanson québécoise est bien présente et vivace, dans de nombreux styles différents. On remarque que la part du rap dans les programmations des festivals est de plus en plus importante. Enfin il m'a semblé que les thèmes de la famille, du repli, voire de la nostalgie, et bien entendu de l'amour étaient les plus abordés. Si les chansons présentées par cette nouvelle vague de chanteurs disent quelque chose de l'état de la société, le Québec et les Québécois semblent avoir besoin d'un peu de tendresse en ce moment. |