Réalisé par Gilles Perret et François Ruffin. Comédie, documentaire. 1h24. Sortie le 6 novembre 2024. Avec Sarah Saldmann, François Ruffin.
Pour leur troisième association, le cinéaste Gilles Perret et le journaliste-député François Ruffin poursuivent leur exploration du monde des mal considérés et des mal-payés. Mais, cette fois-ci, au-lieu d'aller les interroger directement comme ils le firent pour les Gilets Jaunes ("J'veux du soleil !", 2019) et les auxiliaires de vie ("Debout les femmes !", 2021), ils se sont adjoints une avocate bien connue des téléspectateurs de C News et des auditeurs des Grandes Gueules (Rmc), Sarah Saldmann. Cette grande bourgeoise, petite-fille de Marie Chantal, a accepté de passer une semaine en immersion parmi ceux qu'elle a tendance à traiter de "feignasses".
Perret et Ruffin l'ont donc filmé en train de livrer des paquets, de trier du poisson, servir des bières, laver des vieillards impotents et mille autres excentricités pour une petite blonde habituée à bruncher au Ritz.
L'idée, chère à Ruffin ex-député insoumis et titillé par la présidentielle de 2027 (ou d'avant), est de "rééduquer les riches", de leur faire comprendre, par l'exemple de l'une des leurs confronté au "boulot", que c'est dur, dur, dur d'appartenir à la plèbe.
Grâce à la prestation comico-catastrophique de Sarah dans les diverses activités que lui a proposées l'ami François, on s'amuse beaucoup dans ce jeu très pervers et ultra manichéen.
Comme dans ses films précédents, le politicien aime parler à la place des "gens" qu'il montre, pour la plupart plutôt "petits blancs" comme lui reproche Jean-Luc, son ancien grand chef... On avait déjà cette impression dans les précédents films et elle est confirmée ici : Ruffin couvre la parole de ceux qu'il prétend présenter. Ils ne sont là que pour confirmer les "hein ? C'est dur" compassionnels et confraternels qu'il leur concède, lui le député des pauvres picards. Sa partenaire d'un film ne se démonte pas et passe brillamment les épreuves qu'il lui inflige. Elle surjoue les fausses nunuches et, finalement, met dans sa poche les travailleurs , dont sans doute pas mal partagent les idées qu'elle leur véhicule à chacun de ses passages médiatiques. Ils ne disent rien à Ruffin parce qu'il ne leur demande rien de politique, soit par peur de leur réponse ou soit par naïveté.
Bien entendu, on peut voir le film au premier degré et le lire comme un feel good movie social, un pamphlet malin pour dénoncer les injustices de classe. On peut aussi trouver que François rate sa cible, devient au fur et à mesure de plus en plus connivent avec Sarah, qui, d'ailleurs, ne semble pas avoir été convaincue et n'a pas changé d'un iota dans sa vision du monde. Qu'il se méfie et ne la fréquente pas trop car cela pourrait fournir des arguments à ceux qui voient en lui un "social-traître" potentiel ! La fin du film, si elle est astucieuse et amusante, est assez problématique : les prolos rêvent-ils de la Croisette ou n'est-ce pas un fantasme du déjà césarisé Ruffin qui se verrait bien palmedorisé à l'instar d'un Michael Moore, dont il espère suivre les traces ?
"Au boulot !" est à voir avec plaisir et pour comprendre pourquoi on peut prédire, à quelques dizaines de points près, un 3% au candidat Ruffin aux prochaines présidentielles !
Philippe Person
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