"How To disappear completely".
Cette chanson de Radiohead (par ailleurs grands admirateurs de Scott Walker) résume parfaitement ce que fait Scott Engel (le vrai nom de Scott Walker) depuis une bonne vingtaine d'années.
La disparition, l'effacement, l'abstraction, ces mots collent parfaitement au bonhomme. Difficile de se dire à l'écoute de The Drift qu'il y a une grosse quarantaine d'années Walker déclenchait l'hystérie chez les jeunes adolescentes britanniques. Difficile de se dire que cette voix spectrale, fantômatique, croonait des standards de music hall aux orchestrations luxuriantes que l'on pouvait siffloter sous la douche…
Scott Walker a rapidement choisit son camp. Trop à l'étroit dans son costume de pop star et de sex symbole, il a préféré la fuite vers l'inconfort, il a fait le choix de dissoudre le mythe du play-boy chantant.
Depuis le début des années 80, l'homme est coutumier de ce que l'on appelle communément dans l'industrie du disque le "suicide commercial". D'autres étaient déjà passés par-là. Mark Hollis et Talk Talk avaient surpris tout le monde en tournant le dos à la pop synthétique pour yuppies afin de se tourner vers l'abstraction et le silence.
D'ailleurs Walker est connu pour avoir été la pire vente de Virgin avec son Climate Of The Hunter sorti en 84. Trop exigeant. En 1995, Walker récidivait avec The Tilt, album difficile, qui plongeait l'auditeur à la limite de la suffocation. Ce disque avait fini d'achever les adorateurs de Scott 2, Scott 3 ou encore Scott 4.
The Drift marque une nouvelle étape dans les abstractions sonores du bonhomme. On ne parlera pas de chansons mais de pièces, de matière brute perpétuellement en mouvement. Sur The Drift (la dérive mais aussi le sens, la portée) l'accès au sens reste opaque, tout comme la musique. Walker tisse un écheveau de références complexes, d'événementé marquants du 20ème et du 21eme siècle…
"Cossacks are" démarre sur une rythmique martiale, imposante, emplissant l'espace, et puis la voix de Walker, sortie de nulle part, inquiétante, morbide. Les guitares sont acérées, incisives, atonales. "Clara" évoque la fin de Mussolini et de sa maîtresse. Le morceau est lugubre, parsemé de violons malsains et stridents croisés dans les œuvres de Xénakis. Les percussions sont épaulées par des rythmiques tapées à même sur de la chair animale.
Sur "Jesse", Walker évoque le jumeau mort né d'Elvis Presley et évoque l'attaque des tours du World Trade Center. L'habillage sonore est pesant : quelques notes de guitares éparses résonnent dans l'air, des violons angoissants surgissent de nulle part… Twin Peaks en pire… Le morceau se termine par un déchirant "I'm the Only one left alone".
"Hands me up" est un déluge apocalyptique prétexte à une critique en règle de la télé-réalité. Le morceau est construit sur un riff de guitare que l'on croirait sorti de chez Nine Inch Nails… Walker promène sa voix mélodramatique, de hurlements se font entendre en arrière plan.
Seul le dépouillé "A Lover Loves" ramène un peu d'humanité dans le chaos. L'apaisement reprend ses droits, seule une guitare acoustique et la voix de Walker occupent l'espace.
The Drift restera une œuvre ultime, difficilement classable, à la croisée du rock avant-gardiste et de la musique classique contemporaine. Ce disque hisse surtout Walker au Zénith de la narration. Pour toute personne normale, ce disque semblera être l'œuvre futile et grand-guignolesque d'un mégalomane prétentieux. Or, The Drift est à sa manière un classique, l'équivalent musical des "Dublinois" de James Joyce.
Reste à trouver la patience de se laisser emporter…
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