Au 18 ème siècle, le voyage en Italie était considéré comme une pratique éclairée, à laquelle se soumettaient tous les artistes et écrivains, comme retour aux sources et coutume sociale reposant sur les liens entre les élites.
Toutefois, les philosophes des Lumières furent de grands méditatifs sédentaires. Il est donc troublant de lire, le périple latin du célèbre trio amical que formaient Rousseau, Diderot et Grimm juste avant leur grande fâcherie qui, à l'exception de Rousseau qui y exerça une charge, ne mirent jamais les pieds sur la péninsule italienne.
D'autant plus troublant que ce voyage est révélé à travers le récit d'un valet.
En guise d'amuse bouche pour le régal qu'est "Le voyage des grands hommes" de François Vallejo, les propos de l'auteur lui-même : "Tout est inventé mais tout est vrai."
Car François Vallejo nous fait le coup du manuscrit retrouvé d'un de ses aïeuls ancillaires dont il se défend tout aussitôt par une pirouette. Plein de malice, il répond par avance aux critiques en disant qu'il sait trop bien qu'on l'accusera "de reprendre ou de parodier un procédé des plus éculés, particulièrement employé à l'époque au 18ème siècle, notamment par Laclos, Rousseau et Marivaux, pour créer une illusion réaliste dont personne n'est dupe et confie au lecteur qu'il ne perdra pas son temps à en exhiber les preuves puisqu'il a écrit tout simplement un roman. Un roman, dont il donne la définition suivante : "un document moins brut que rectifié, amplifié, manipulé, démoli, reconstruit, détourné".
Ce document fiction commence par une présentation savoureuse du narrateur, Lambert, ce valet qui "a des dents pour mordre mais sait garder la muselière", jeune homme curieux et intelligent pour qui cette odyssée constituera une sorte de voyage initiatique pour l'éveil d'une conscience politique.
Car il ne s'agit pas d'un voyage touristique, leur itinéraire ne passant même pas par l'incontournable Venise. Il s'agit tout simplement d'un voyage humain et littéraire. François Vallejo montre des hommes profondément humains au sens où ils ne sont sujets comme tout à chacun des petitesses, des mesquineries et des avanies physiques.
Un peu à la manière de Michel Onfray qui, dans "Le ventre des philosophes", démystifie un peu le côté éthéré de la pensée philosophique en portraitisant les grands penseurs à travers le petit bout de leur fourchette, il ravit le lecteur avec la perruque voyageuse de Diderot, la tête de meunier de Grimm pommadé et la vessie exigeante de Rousseau.
Et tous les épisodes de cette équipée sont prétexte à de petites réflexions philosophiques troussées à la manière populaire, puisque vus par les yeux d'un homme du peuple, peut être le personnage principal de ce roman, qui nous en apprennent beaucoup, par le biais des petits faits ordinaires de la vie quotidienne, et de manière fort métaphorique et ludique, sur les nos grands hommes et la pensée de l'époque.
Maniant fort bien la langue cultivée de l'époque et le parler populaire, émaillant le récit haut en couleurs de dialogues discursifs, François Vallejo court avec brio plusieurs lièvres à la fois. "Le voyage des grands hommes" est à la fois un roman épique, une fiction poétique, un conte philosophique, une comédie burlesque et une peinture historique avec la confrontation de deux mondes, aujourd'hui révolus, qui d'ordinaire se côtoient, celui des maîtres et des valets. |