Chroniquer une soirée que l’on organise, s’il fallait résumer, équivaudrait à répondre objectivement à la petite amie qui vous demande "Comment me trouves-tu ce soir ?". Tenté par les louanges ("Tu est très en beauté ce soir") en évitant les pièges ("Ce rouge à lèvres bleu fushia est-il vraiment nécessaire ?"). Le dur crossover entre l’honneteté et l’optimisme, objectivité et point de vue subjectif.
Bref, cette première soirée organisée par l’Association Eh ! les Vilains à la Maroquinerie offrait ce soir un plateau de nerds bien étranges, avec la jeune signature de chez Record Makers, Damien, et la prêtresse Jasmine Vegas en maîtresse de cérémonie. Un plateau alléchant pour les amateurs de décalages sonores.
Charge à Damien d’ouvrir le bal des monstres avec son rock cosmique, surfant sur le buzz – mérité - de son premier album, L’art du disque, sorti voila quelques mois. Un rock déconcertant flirtant avec l’absurde et le non sens, mais également avec des vrais moments de génie.
Ainsi donc, Damien eut donc la lourde mission de décomposer ses perles déstructurées devant un parterre d’invités concentrés toujours, déconcertés parfois, par ces ritournelles sans étiquettes, comme ce "Fresh people" mixant funk, rock, metal, inserts audios, avec la plus grande fraîheur.
Peut on seulement parler de rock, lorsque les genres se brassent, que Damien embraye sur un "Mitsuki" gainsbourien dans une langue inconnue. Le public se tait, il apprécie, claque la porte excédé par ce grand bordel foutraque, il insulte il adore. Le public vit, enfin.
Et Damien de se lancer dans des scénographies improbables (chanter par-dessous sa jambe, ce genre) avec décontraction, de bon aloi. Champ ultime et son clavier tonitruant est joué sans complexe, sans aucune concession sonore, en parvenant presque à recréer l’ambiance melting pot de l’album de Damien.
L’impression réelle de se retrouver dans la chambre d’un enfant de 5 ans exhibant ses jouets. Avec fierté. Si le jeune homme gagnerait à canaliser son énergie dans son jeu de scène et sa voix parfois fluctuante, on compare sans aucune peine le garçon à Sébastien Tellier, pour sa folie, son éloquence et ses compositions je-m’en-foutiste, qui, l’air de rien rentrent dans la tête comme un jack en tête d’épingle.
Un chanteur qui se cache derrière l’ampli Marshall, un claviériste qui porte veste militaire et jupe avec éloquence… Un grand n’importe quoi qui dérange ou amuse, mais ne laisse pas insensible. Une réussite donc, pour cet amoureux de puzzle sonore qui finit sur un "I love you so" joué serré et complice.
Que le petit Damien grandisse et nous remontre sa chambre dans quelques mois, et la décoration devrait nous plaire encore plus.
Et puis il y a. Il y a Jasmine Vegas et son public transi.
Melting pot lui-même, fait de jeunes et de vieux, de nerds et de classiques. Des humains amoureux de Vegas et de son excentricité rationnelle, sa raison déraisonnable.
Et ce soir, le live de Jasmine, s’il est essentiellement axé sur les chansons de son premier album Time, est beau. Beau comme un camion en peluche, beau comme l’univers de Jasmine et de son piano à bretelles comme elle l’appelle, son accordéon, avec lequel elle débute le live.
Chanson sur la Normandie et ses bretons, comme elle le dit, et voix très en haut de forme avec cette magie pré-fabriquée, cheap et classe, juste belle la Jasmine.
"Avec un J dur, pas Yasmine, Jasmine, comme dans éjaculation et Vegas comme la ville de l’argent et du money… Comme ça quand vous penserez à Jasmine Vegas, vous penserez sexe et money ! " clame Jasmine, public transi et hilare, alpagué au collet pour se prendre "Blue sky" dans l’oreille, ce genre de perles qu’on fredonne trois heures encore après le concert.
Un son clair et précis, fin et intimiste, avec un groupe énorme de professionnalisme, pas seulement un backing band, mais vraiment un groupe avec du Jasmine dedans.
Un concert qui alterne moment d’émotions et moment pur pop ("Je te vois"), versions réarrangées ("Encaisse moi") et solo intimiste. La Jasmine, en bonne artiste de stand-up américain, se permet même le luxe absolu d’interrompre son live pour distiller blagues potaches et tours de magie factice.
Et l’aller-retour entre live et stand-up s’avère, avouons-le, savoureux et rafraîchissant, détonnant face aux nombreux concerts parisiens mous du genou, consensuel et faiblement dodeliné de la tête.
Du rock hard chord comme le Jasmine le vend, dans une bien jolie robe, s’éloignant de l’étiquette trip-hop ambient qu’on aimerait y coller.
Alors... Alors à la question "Me trouvais-tu belle ce soir chéri ?", la réponse est oui ma douce, indéniablement. |