La dernière fois que j’allais voir Jack the ripper en concert était aussi la première fois - et parmi ces deux-là, aucune, c’est certain, n’est la dernière.
La dernière fois que j’allais voir Jack the ripper en concert, la première partie m’avait étonnée, assurée par un certain Cabwaylingo - aussi inconnu que talentueux, épiphénomène rock on ne peut plus incertain. Cette fois, c’était à Dont look back (sans apostrophe - les quatre gaillards y tiennent) qu’était confiée cette tâche.
Cette deuxième fois, Dont look back jouait en Avignon (et non "à Avignon", les gaillards de là-bas y tiennent) pour la première fois et je les voyais moi-même pour la première fois.
Encore une fois, ils défendaient leur deuxième album, Brighter, et portaient sur scène avec énergie et conviction leur rock que l’on pourrait dire post, à la confluence de Diabologum et Mogwai, à grands renforts de samples et projections vidéos.
Une seule fois ils jouèrent un titre issu de Drunk in your arms, leur premier album : l’excellent "Stage diver’s blues". Pour le reste, la setlist se cantonnera au meilleur de leur deuxième album, avec notamment les excellents "Remove all trace" et "Six feet under the ground".
En toute bonne foi, le public est vite conquis par l’énergie de la musique du quatuor, dont il déplore le départ et applaudit avec chaleur.
A la fois belles et puissantes, en tout cas très orchestrées, les compositions, principalement instrumentales, de Dont look Back, auront su trouver cette fois leur public.
Une fois le changement de scène opéré, les huit Jack the ripper entrent en scène, simplement, comme chaque fois, en costumes, élégants comme certaines mauvaises graines plus illustres mais pas nécessairement plus noires.
Dès le premier titre, "From my veins" (issu du troisième album du groupe, et dernier en date, Ladies first), la présence écrasante du chanteur se fait sentir de tout son poids. Ses yeux fous, exorbités - à moins que ce ne soit l’ensemble de son corps qui ne le soit (je veux dire : fou - car un corps s’il exulte ne s’exorbite) ; mimiques après mimiques, tous ces personnages qu’il incarne à la fois ; ces gesticulations, l’intensité de ses interprétations - je resonge à l’arrêt forcé de leur tournée de printemps, au repos auquel il avait été condamné par son état de santé.

J’y songe et le vois, cette fois encore, fumer cigarette sur cigarette. Il chante "I was born a cancer", jette cigarette après cigarette dans le public. "I was born to die of cancer - no matter if I smoke". Je pense à Desproges et à son obsession pour le cancer (je songe aussi à mon obsession pour Desproges - mais cela n’intéresse pas le lecteur).
Je songe qu’il ne vivra pas vieux (je ne parle plus de Desproges). Martyr d’un art de cabaret, la bohème d’un rock dandy-grinçant chevillée au corps. Il y a aura bien une fois de trop, cette fois que toutes les autres fois auront amenée.
Le groupe, comme une troupe de théâtre qui représentation après représentation rejoue le mêmes spectacle - j’ai bien dit "rejoue", et pas seulement "refait" ou "reproduit", puisqu’il s’agit bien d’habiter la prestation, et non seulement de s’acquitter, chaque fois, d’une faire, d’une simple tâche ; le groupe, donc, rejoue le même spectacle, le chanteur, rapace, fondant sur le public à l’occasion de "The assassin" ; quelques pas de tango ; frappant rageusement un fût de batterie pour "Party downtown" ; monté sur les enceintes des retours ; un rappel, "Son of", à la guitare accoustique ; deux rappels.
Mais cette fois, si la complicité qu’ont les musiciens à jouer ensemble est toujours là, intacte malgré l’enchaînement de toutes ces fois, de toutes ces scènes, le public pour sa part sera capricieux, dissipé parfois.
Peut-être échauffé, à rouge, rouge sang, par l’impétuosité saturée du rock épais de Dont look back, il s’échauffe, crie, réclame à corps & vociférations décibels et tempo plus élevé ; il s’agite, s’échauffe, rigole, perd la mesure, se sépare, s’oppose à lui-même, se demande le silence, se divise, se chahute un peu - pour qu’un coin de la salle hérite finalement du regard noir du chanteur, plus blessé qu’excédé, trahi un peu par la fièvre de ses yeux, fusillants, alors qu’il conclue une chanson. "Sons of a bitch".
Rien de tout cela n’empêchera, cette fois encore, Jack the ripper de triompher, devant un public ravi, qui l’applaudira longtemps après son départ, espérant vainement qu’il revienne une fois de plus.
Sorti de la salle, une fine pluie d’automne pour griffer la nuit. Juste ce qu’il faut pour frissonner un peu sous la lune. Une fois encore le moment idéal pour quitter Jack the ripper.
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