Au Jeu de Paume, la rétrospective "Lee Friedlander", un des géants américains qui a façonné l’histoire de la photographie moderne, c’est un demi-siècle de photos relaté en près de 500 images.
Et pourtant Lee Friedlander n’est pas un photographe à tirage monumental, un photographe racoleur dont les panneaux multicolores vous happent au passage.
De petits format, en noir et blanc, qui obligent le visiteur à se rapprocher pour entrer dans son œil même si le visiteur est accueilli par quelques tirages en couleur, un mur jaune vif, de portraits de musiciens et chanteurs de jazz, parmi lesquels on reconnaît entre autres Aretha Franklin et Miles Davis, réalisés vers la fin des années 50.
Un œil qui s’inscrit comme héritier d’une lignée de photographes qui se relaient, en quelque sorte, d’Eugène Atget, le pionnier de la photographie pure et du reportage, et de la photographie documentaire de Lewis Hine à la photographie expressionniste de Robert Frank en passant par la "stright" photographie de Paul Strand et la photographie inconsciente et instinctive Walker Evans.
Si l’on excepte ses séries de photographies "nature morte" comme les photos de statuaire italiennes "Staglieno" et la série "Nudes" à l’esthétique très formelle, sans artifice, des nus bruts,
le parcours chronologique et thématique de l'exposition permet de découvrir son travail, décliné en séries donnant lieu à de superbes portfolios, qui s’oriente selon 2 axes majeurs et récurrents : l’Amérique documentaire et le portrait.
A travers cette exposition, comme Proust, Lee Friedlander ne parle finalement que de lui et rien de plus subjectif que ses photographies qui respectent une exigence d’objectivité. Son ombre, signature ou clin d’œil à la Hitchcock, plane sur les paysages arides, quand il ne surgit pas tel un monstre fantomatique derrière un buisson, comme sur la ville, et il est souvent son propre matériau.
L'Amérique documentaire
L’Amérique de Lee Friedlander c’est aussi bien celle de la métropole newyorkaise que celle de son Ouest natal.
Lee Friedlander photographie les ouvriers d’usines ("Factory Valleys") comme les monuments ("The American Monument") sans implication signifiante. L’image parle d’elle-même comme les graffitis ("Letters From the People").
Les chambres d’hôtel ne sont habités que par les téléviseurs allumés, les monuments aux morts sont abandonnés, la ville ne se perçoit que dans le rétroviseur d’une voiture ou dans les reflets.
Et on retrouve souvent la même structure. Le premier plan est constitué de grillages des palissades et les panneaux de signalisation zèbrent l’arrière plan.
Il en est de même pour les photographies du désert américain qui le passionne : frondaisons légères outroncs tortueux forment comme un écran à travers lequel se dessine ou se devine le paysage.
A la recherche du temps présent : portraits et autoportraits
Lee Friedlander photographie les américains, sa famille, ses amis. Mais aussi lui-même. Sans complaisance ni narcissime. En ombre portée mais aussi en autoportrait les yeux souvent clos, l'expression figée, semblable à un masque mortuaire, et puis cet extraordinaire portrait, le visage sur le siège d'une chaise, lunettes à la main, comme terrassé par l'ombre du trépied photographique.
Une remarquable exposition pour laquelle il faut absolument prendre son temps pour entrer dans l'oeil de Lee Friedlander. |