Texte de Roger Lombardot (parue aux Cahiers de l’Égaré), mise en scène de Nikson Pitaqaj, avec Delphine Keravec, Leslie Salomon et Henri Vatin.
L’histoire se passe en Bosnie en 1994. Obscurité. Violence. Souffrance. Perte progressive d’humanité. La guerre est là. Pourtant… Pourtant la vie résiste, pleine ! Et l’espoir semble toujours possible !
Le regard, celui de cette femme qui nous parle et qui a tout enregistré, ne trompe pas : "J’ai l’impression depuis quelques minutes de réapprendre le genre humain, et sans vouloir vous offenser, ce que j’en vois à travers vous me fascine et m’effraie."
Le ton est donné. "Convié" au cœur d’un drame singulier, comme pour mieux parvenir à se projeter à l’intérieur de la guerre, aucun répit n’est accordé à celui qui est là.
Cette histoire, étrangère, devient peu à peu celle de chacun. Faisant plonger, strate après strate le public au cœur de l’abîme, le récit agit sur lui. On a vraiment l’impression d’être dépecé, sans pour autant être forcé à quoi que ce soit.
Tel semble être le désir profond de cette femme meurtrie : nous faire prendre conscience de notre irrépressible besoin de fraterniser, même avec notre pire ennemi.
Au-delà du drame entériné par une guerre qui s’étala sur quatre ans, c’est donc bien l’Homme entravé dans sa condition de chasseur, qui est montré du doigt : "Sais-tu pourquoi je souris ? J’étais en train d’imaginer que tu posais ton fusil… que tu allais te réfugier dans les bras d’une femme […] et que tu te laissais aller à pleurer…".
Nous avions découvert Requiem au cours de lectures publiques effectuées en 2005. Entre-temps, le projet de monter la pièce a germé, et peu à peu sa création a vu le jour.
Mettre en scène ce quasi-monologue avec pour trame de fond, la guerre en Bosnie : le pari était osé. Comment faire part de l’horreur, indicible ? Comment dire et montrer la souffrance sans outrepasser la pudeur ? Comment transmettre l’émotion submergente et poignante sans la dénaturer ?
Lorsque nous rentrons dans la salle, nous découvrons un espace scénique enclavé au cœur même du public ; un espace rond propice à la confidence ; une arène brute et sans décorum à part un drap sur lequel repose l’héroïne de l’histoire. Parmi les spectateurs figurent quelques pantins de chiffons vêtus.
Que retiendrons-nous au terme de cette heure et quart ? L’impression tenace d’être pris peu à peu au cœur du d’un texte bouleversant.
La sensation de perdre pied peu à peu et d’être gagnés par une envie irrépressible de rire, puis de pleurer, puis de crier.
La bouleversante métamorphose de la comédienne (Delphine Keravec), passant peu à peu d’une interprétation construite à une incarnation sans masque. L’immense douceur qui se dégage du récit, malgré sa violence, malgré la retranscription de l’horreur. La place du silence, les souffles, les corps en mouvements, l’impression de pouvoir toucher l’histoire de ses doigts…
Une aventure humaine dont on ressort la conscience et le cœur en éveil !
|