Dans le cadre de L’intégrale Montherlant au Théâtre du Nord-Ouest, nous avons retrouvé Nicole Gros, comédienne et metteur en scène, qui avait monté "Les liaisons dangereuses", qui s’est attaquée au cycle romanesque en 4 tomes "Les jeunes filles" pour en proposer des lectures.
C’était aussi l’occasion de découvrir notamment une jeune comédienne Karine Laleu dans le rôle de Solange Dandillot celle que le fameux Costals a failli épouser.
Nous les avons rencontrer pour faire unpetit tour d'horizon sur ces lectures.
Lors de notre rencontre au tour du spectacle "Les liaisons dangereuses" que vous aviez monté au Théâtre du Nord-Ouest nous avions évoqué votre participation à l'intégrale Montherlant que vous n'envisagiez pas dans la mesure où Montherlant n’est pas un de vos auteurs de chevet. Or, nous vous retrouvons sur non pas une mais plusieurs lectures, celles adaptées du cycle romanesque "Les jeunes filles".
Nicole Gros : Effectivement mais il y avait aussi une question de disponibilité. Cela étant, "Les jeunes filles" se sont présentées sous la forme d'un cadeau que je croyais être un cadeau empoisonné. Edith Garraud, qui gère les lectures au sein du Théâtre du Nord-Ouest, m'a proposé cette lecture en me disant que cela devrait me plaire puisqu'il s'agissait d'un roman épistolaire et que je venais de faire l’adaptation des "Liaisons dangereuses".
J'ai accepté et je lui ai précisé que je ne m'enaggeais que sur le premier tome. Heureusement car à sa lecture, une lecture au premier degré, je n'ai pas saisi humour de Montherlant. J'ai également appris que ce roman avait été un best seller à sa parution et qu'il avait été surtout lu par des femmes. J’ai été révoltée par les propos que tenait Montherlant sur les femmes. Et cette remarque n'est pas faite uniquement sous un angle féministe. De plus, il me semble que ce roman est daté et a mal traversé les années. J'ai néanmoins cherché un second degré et considéré cette lecture comme un exercice.
Comme je ne pouvais pas cautionner les propos tenus dans ce livre, j'ai cherché une forme qui pouvait placer une femme comme juge et j'ai donc choisi Solange Dandillot, qui est le personnage récurrent de la série, et qui est une femme présentée comme une jeune fille bien mais pas trop instruite ni très intelligente, quasiment la femme idéale car pas trop remuante et n'ayant pas d'idées trop dérangeantes du moins telle qu'elle est vue par Costals, qui n'est pas Montherlant mais qui lui ressemble comme un frère.
Et ce personnage s'échappe de l'œuvre pour en donner une lecture particulière. Cela a été facilité par le fait que le roman est d'une structure particulière puisqu'il comprend des lettres, de la narration, des carnets qui permettaient d’alimenter cette enquête sur Costals. J'ai donc écrit les réflexions que fait Solange Dandillot à la découverte de la pensée intime et de la vie de Costals. Et de la question qui se pose à elle : Costals aime-t-il les femmes ?
Vous êtes Solange Dandillot. Parlez-nous un peu de ce personnage et de l’intérêt qu’il a suscité chez cous pour accepter de participer à ces lectures.
Karine Laleu : Ce personnage est assez mystérieux puisque dans le roman elle ne s'exprime pas beaucoup. On la perçoit davantage à travers les yeux de Costals, ou ceux de Montherlant en tant que narrateur, et on a donc du mal à la cerner. Ce qui m'a beaucoup intéressé notamment dans la version de Nicole. J'ai donc cherché à lui donner une vie autonome quelqu’un qui a une réflexion sur la vie de Costals et qui sait exactement pourquoi elle se trouve dans cette relation, ou du moins si elle ne le sait pas au début elle a envie de continuer pour aller plus loin avec Costals.
Et cela m'intéressait. De plus un personnage qui est un peu mystérieux permet une assez grande latitude dans le travail. Par ailleurs, j'avais envie de travailler sur une lecture et plus précisément sur le thème de la femme. Donc la femme vue par Montherlant ne manquait pas d'intérêt et après, la vision de Nicole cela accroissait encore cet intérêt.
Nicole Gros : Cela étant nous ne lui faisons pas dire n'importe quoi. Et dès la première lecture j'avais écrit un avertissement aux termes duquel j'informai le lecteur qu'il s'agissait d’une lecture subjective qui revêtait le caractère, non d’une revendication féministe, mais d’une fantaisie sans prétention. Cela reste une fantaisie. Et je ne peux pas regarder ce roman autrement avec humour.
Karine Laleu : A partir du moment où l'on s'investit sur un tel travail il est également intéressant de donner un peu notre vision des choses puisque nous sommes dans un roman qui est un summum de misogynie et que nous étions trois femmes pour l'interpréter. Il fallait donc également que nous positionnions et au moins nous avons ressenti le besoin de le faire.
Et puis vous avez enchaîné sur les trois autres volumes de ce cycle romanesque.
Nicole Gros : Nous nous sommes laissées tenter ! Et nous nous sommes mis en recherche d'un Costals…
Il est vrai que dans "Les jeunes filles" le spectateur avait beaucoup entendu parler de lui et il devenait temps de lui donner une enveloppe charnelle.
Karine Laleu : Il est vrai aussi que je voulais faire une lecture sur le thème de la femme et comme je ne voulais pas empiéter sur le travail de Nicole ou son envie de continuer la saga des "Jeunes filles" je lui ai demandé si elle voulait faire "Pitié pour les femmes". Et elle a accepté de le faire.
Nicole Gros : Nous avons donc travaillé ensemble même si j'ai fait l'adaptation et la mise en espace de "Pitié pour les femmes" et cela dans le même esprit que pour "Les jeunes filles" en adaptant la forme feuilleton. Dans ce 2ème tome, la liaison de Solange et Costals prend tournure et la question du mariage va se poser. Et on retrouve le personnage d'Andrée Haquebaut, qui n’est pas dépourvu d’intérêt notamment pour Costals, qui s'incruste. Et c'est Idriss qui joue Costals.
Je vous vois sourire.
Karine Laleu : Oui parce que Idriss était très content de venir nous rejoindre sur ce projet et en même temps il se retrouvait entre 3 femmes avec un personnage qui prône des idées qu'il ne partage pas.
Troisième épisode "Le démon du bien".
Nicole Gros : Oui avec l'épineuse question du mariage. Costals ne réfute pas le mariage et on ne peut pas ne pas penser à Montherlant qui par deux fois a tenté de se marier avant d'y renoncer. Costals hésite à rester célibataire pour des raisons purement sociales et, parmi toutes les femmes qu'il a rencontrées, Solange Dandillot est sans doute celle qui lui conviendrait le mieux.
Bien évidemment il conditionne sa demande à l'acceptation de nombreuses garanties pour qu'il ne revête pas un caractère définitif et nous avons transformé cela en cauchemar. Et en même temps c'est tellement énorme que cela frôle le boulevard. D'ailleurs la mère de Solange Madame Dandillot intervient de manière très drôle.
Karine Laleu : Il a aussi du désir pour Solange mais comme il dit "Ca passe" et la mère de Solange est source de pression pour Costals.
Et enfin "Les lépreuses".
Nicole Gros : Et là, c'est le travail de Karine.
Karine Laleu : Certaines questions vont être résolues et on atteint l'apogée de la misogynie car Costals dit des choses terribles. Le mariage avec Solange est écarté après quelques rebondissements et surtout c'est la fin de leur liaison. André Haquebaut réapparaît et ce qui se passe essentiellement est la fuite de Costals au Maroc où il a des relations avec une très jeune femme qui est atteinte de la lèpre.
Il va croire être contaminé et à partir de ce moment il considère sa vie d'une manière toute différente en l'organisant de manière obsessionnelle en fonction du temps théorique qui lui reste à vivre. Et surtout comment gérer son œuvre, son plaisir et ses rapports avec les femmes et la façon dont il gère cela avec le rapport avec la mort. Ce roman était pour partie romancé et pour partie comprenait des lettres et en appendice il y a un extrait du carnet de Costals écrit en 1931 à la fin du roman qui comporte de réflexions sur les femmes, leur statut en Occident et la façon dont elles sont considérées.
Et il considère la femme comme génératrice de maladie dans la société et il explique en quoi elles sont néfastes et négatives pour la société ce qui légitimise la misogynie qui n'est d'ailleurs pas de la misogynie mais simplement une façon de remettre les femmes à leur place. J'ai utilisé ce carnet comme fil conducteur. Costals vient devant le public pour se justifier et légitimer sa conduite. Il essaie également de rallier à sa cause les spectateurs. Le texte d'introduction de Costals est le pendant de celui de Nicole dans Les jeunes filles. J'ai repris son texte mais en faisant parler Costals ce qui boucle le cycle.
Montherlant est-il un nouveau misogyne extrémiste qui tient des propos novateurs ou n'est-il pas simplement radical dans la manière de dire les choses ?
Nicole Gros : Effectivement Montherlant est radical. Et dans ses pièces il y a quelques beaux rôles féminins mais toujours très typés : la mère possessive, ou des personnages féminins à tendance maternelle. Il y a quelques femmes qui inspirent le désir mais elles ne sont jamais placées sur le même plan que les hommes.
Karine Laleu : Par exemple dans "Pasiphaé", le personnage féminin qui est une demi déesse s'exprime totalement comme un homme. Cela ne la rend pas très sympathique mais elle va au bout de son désir. Elle est déchirée entre son désir pour le taureau et le fait que cet acte est répréhensible aux yeux de la société. Dans "Le cardinal d'Espagne", la reine Jeanne tient des propos très justes qui vont ébranler le cardinal et c'et un personnage dans lequel les femmes peuvent se reconnaître. Mais dans les autres pièces la femme n'a évidemment pas une place équivalente à celle des hommes.
Nicole Gros : Et on retrouve cette même radicalité de Montherlant dans les personnages masculins. Une non acceptation des limites de l'homme
Ces lectures constituent une belle aventure mais cela débouchera-t-il sur autre chose ?
Nicole Gros : Non. Pour ma part, non. Il s'agit d'adaptations pour des lectures qui sont plaisantes et attractives pour le public mais elles ne peuvent suffire pour un spectacle. Et sachant l'énergie et le travail nécessaire pour monter un spectacle…
Parlons de votre prochaine actualité.
Nicole Gros : Je vais jouer dans "Les présidentes" une pièce de Werner Schwab qui se jouera au Théâtre de l'Opprimé, un théâtre de création contemporaine. Christophe Guichet, un de mes amis de longue date, et talentueux en assure la mise en scène. J'avais déjà fait avec lui un spectacle original qui s'appelait "Cabaret reconnu" qui était une suite de confessions et qui se présentait comme un puzzle de personnages très haut en couleurs, un peu comme ceux d'Almodovar. Il a ensuite monté un spectacle intitulé "Ascension et déclin pour une européenne".
Il a choisi de monter une pièce de Schwab qui est un auteur qu'il apprécie beaucoup, un auteur autrichien très radical face à tout ce qui prive l'homme de sa liberté. C'est un théâtre politique qui passe par la farce. Et il est rarement monté comme cela. La pièce comporte 3 personnages de femmes - dont 2 sont joués par des hommes - de milieux populaires, d'âge différents, qui se battent avec le langage qui leur sert d'exutoire et qui se gavent d'images d'où un rapport avec le film. Elles regardent des films avec le pape ou des films comme Sissi qui sont des films qui ne sont pas une simple coïncidence dans les années 50 mais destinés à anesthésier la jeunesse. C'est très fort et très agréable à jouer.
Et le nom de Nicole Gros figurera dans le prochain cycle Shakespeare du Théâtre du Nord-Ouest ?
Nicole Gros : Oui sûrement.
Karine Laleu, parlons un peu de vous et de votre itinéraire.
Karine Laleu : J'ai suivi les cours de l'Ecole Nationale du Val Maubuée et puis j'ai fait différents stages. J'ai une formation assez classique et je me suis intéressée au travail corporel avec le mime, le clown, le burlesque, le masque. J'ai travaillé en théâtre de rue et également souvent avec des musiciens comme dans une pièce qui s'appelait "L'amour sorcier" de Manuel de Falla aussi bien pour jouer avec des musiciens que de les mettre en scène.
J'ai monté un spectacle autour du répertoire d'Yvette Guilbert intitulé "Nuits blanches au Chat noir" avec une comédienne-chanteuse et un accordéoniste. Et puis je travaille avec Frédéric Ligier, que j'ai rencontré dans un stage de théâtre No, qui est compositeur et chef d'orchestre. Frédéric Ligier est le fils d'Edith Garraud, comédienne et metteur en scène, qui gère les lectures au Théâtre du Nord-Ouest. Voilà comment je suis arrivée au Théâtre du Nord-Ouest où j'ai passé les auditions pour le cycle Montherlant car il n'y avait plus de places pour le cycle Jeanne d'Arc et autres femmes.
Cependant Jean-Luc Jeener, qui m’avait auditionné, m'a demandé de faire une lecture, "La pucelle d'Orléans" de Schiller, qui m'a intéressée et qui m'a permis de me familiariser avec le lieu et de rencontrer des comédiens. J'ai ainsi rencontré Nicole pour le personnage d'Isabeau de Bavière. Dans le cycle Montherlant j'ai retrouvé Damiane Goudet, que je connaissais depuis ce même stage de théâtre No, qui cherchait une Pasiphaé et que Jean-Luc Jeener a orienté vers moi.
Que pensez-vous de ce lieu atypique qu'est le Théâtre du Nord-Ouest ?
Karine Laleu : Je trouve ce lieu magique. Je suis tout à fait séduite par le discours de Jean-Luc Jeener et par ce qu'il fait de ce lieu qui est un espace de liberté incroyable, qui permet de travailler dans de vraies salles. Les conditions ne sont pas toujours idéales mais ce sont de vraies salles et cela permet aussi de faire 6 mois de représentations ce qui n'est pas évident à Paris.
C'est donc un lieu formidable mais c'est aussi un lieu de passage car il est important de travailler ailleurs d'une part pour nourrir son propre travail mais aussi pour revenir ici avec de nouveaux acquis. Et en tant que comédienne je suis très contente de jouer ici.
Actualité et projets pour vous au Théâtre du Nord-Ouest et/ou ailleurs ?
Nicole Gros : Si je monte un Shakespeare, Karine fera partie de la distribution !
Karine Laleu : Je joue donc "Pasiphaé" au Théâtre duNord-Ouest. J'ai des projets dont je ne peux pas encore parler. Mais nous avons créé, notamment avec Damiane Goudet et Frédéric Ligier, un groupe d'improvisation nommé "Athémuse" un atelier de recherche entre comédiens et musiciens et nous nous produisons ainsi sur scène. Nous allons jouer en Bourgogne et nous travaillons aussi à l'étranger où nous avons des contacts au Liban et en Syrie et en Amérique Latine en Uruguay, au Brésil et en Argentine. Le but est d'aller là-bas avec notre spectacle mais comme c'est aussi de l'improvisation pour travailler avec des artistes locaux. Il y aura quelques concerts de "L'amour sorcier" et j'ai également un spectacle de clown pour enfants. Voilà ! |