Des années de labeur, c'est ce qu'il aura fallu à Bernd Eichinger pour convaincre Patrick Süskind de cêder les droits de son livre "Le parfum" pour le cinéma. Il voulait Kubrick, d'autres réalisateurs le voulaient, mais entre la réputation de roman inadaptable et les caprices de l'écrivain, rien n'avait jamais pu se faire et les images étaient restées dans les têtes des lecteurs.
Finalement, à force d'insistance, Süskind a cédé et c'est l'allemand Tom Tykwer, réalisateur de "Cours Lola Cours" qui s'est vu confier la lourde tâche de ne pas tromper les amateurs du roman.
"Le parfum", s'il est nécessaire de le rappeler, c'est l'histoire de Jean-Baptiste Grenouille, né dans le marché aux poissons de Paris, voué à une mort certaine, abandonné et méprisé mais qui possède un don bien particulier : un nez absolu. Né sans odeur, Grenouille deviendra compagnon de France et s'illustrera chez les plus grands parfumeurs tout en cherchant à créer le parfum ultime, celui qui lui permettra de provoquer l'amour et d'être enfin aimé.
Dès les premières minutes du film le choc est terrible pour les amateurs du livre : le récit en voix-off est le même que dans les souvenirs de lecture et la naissance de Grenouille dans la crasse du marché est telle qu'on avait pu l'imaginer en lisant les lignes de Süskind. Tout y est, la ressemblance est parfaite et même l'apparition de Grenouille ne choque personne tant il parait familier. Ben Whishaw est parfait dans le rôle, entre maladresse et détermination, génie et folie. Rarement une adaptation n'avait été aussi proche de son roman original.
Impossible de montrer un parfum au cinéma disaient les moins convaincus. Et pourtant Tom Tykwer nous plonge dans le monde des senteurs avec une belle réussite : il use de gros plans sur des gouttes, sur les nez, sur les alambics, sur les peaux, sur la crasse des personnages, de l'époque avec quelques scènes très noires, très crues, et plonge le spectateur dans le destin de ce personnage hors du commun, meurtrier et victime, victime et bourreau.
Quelques personnages secondaires étonnants enrichissent le récit et ponctuent le destin du jeune Grenouille : Dustin Hoffman, cabotin dans le rôle de Baldini le parfumeur ou encore Alan Rickman, magistral dans le rôle de Richis, dont la condition de père meurtri semble la seule force capable de contrer le pouvoir du Parfum.
De la première phrase à la dernière, le film est totalement fidèle au roman et permet donc, à la différence de la plupart des adaptations, aux lecteurs d'apprécier une seconde fois le récit, de redécouvrir l'histoire sans que Tywker ne trahisse à aucun moment l'histoire originale, de revoir les moments forts du livre, de re-entendre les phrases lues et relues et de se projeter dans la violence de cette époque. Le film est aussi sale que le roman, le destin de Grenouille aussi cruel et le spectateur certainement aussi passionné que le lecteur pour ce thriller historico-fantastique indémodable.
A la manière de Grenouille réussissant à capturer les senteurs les plus sacrées pour faire son philtre d'amour, Tywker a réussi son pari en parvenant à capturer l'essence même du roman pour la diffuser aux spectateurs.
Comme un parfum envoûtant.
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