Dans le monde de Kwoon, les singes ont trois queues et les méduses flottent dans les airs. Perchées sur les rochers, de raides silhouettes scrutent des cieux tourmenté au clair, clair-obscur, de Terre. Langueurs et immensités, Kwoon propose avec Tales and dreams, son premier album, un rock stratosphérique, grandiose et génial, tout de douceur et d’étendue - étendue azurée, infinie, constellée lorsqu’elle s’assombrit des silences d’une nuit, de l’obscurité du vide.
A ceux que l’idée d’une autoproduction rebuterait encore, signalons immédiatement que la production de l’album est aussi irréprochable que le travail graphique sur la pochette (que l’on doit à Aurélien Police), dont la réalisation est très au-dessus de ce que l’on est en droit d’attendre d’une autoproduction. Dans cette attention à la forme, on pourra lire aussi les augures d’un bel avenir.
Du groupe lui-même, on ne sait rien, aucun nom, aucune date, aucun lieu n’apparaissant dans les crédits. Une seule chose est certaine : il est vain de chercher à rapprocher la musique de Kwoon de celle d’un autre groupe, tant son univers est personnel et élaboré.
Il y a bien du post-rock chez Kwoon, c’est indéniable - dans l’alternance des rythmes ; dans l’ampleur des titres ; dans la façon dont ils savent pendre le temps de se gonfler, sourdement, jusqu’à n’en plus pouvoir, dans cette densité soudaine. Le titre "Eternal jellyfish" ballet est à ce titre exemplaire. Mais Kwoon voit plus loin, n’ayant d’ailleurs aucun message social à délivrer, pas de minuscule révolution à défendre.
En dix titres impeccablement enchaînés, la formation propose un voyage tout d’apesanteur et de légèreté, de résonances magnifiques, où le silence, le minuscule et le lointain racontent les histoires impossibles d’autres univers, chargés de poésie. Des mélodies délayées dans l’immensité émergent parfois quelques voix douces, comme impalpables, aussi légères que de lointain souvenirs. Elles disparaissent sans que l’on ne s’en aperçoive vraiment, retournant aux silences profonds, abyssaux, d’où elles avaient surgi.
Le groupe clôt son premier album par un morceau qui porte son nom, un morceau qui se déploie pour s’évanouir finalement comme on s’extirpe d’un sommeil profond, appelé de très loin par une urgence étrangère. Quelques secondes de silence. Ne plus bouger, encore hanté par ces rêveries raffinées. Comme jeté dans un monde moins coloré, moins lumineux. Moins beau. Immobile, froissé d’une nuit presque trop profonde, n’avoir en tête que l’heure où l’on pourra refermer ses yeux pour retourner à ces univers oniriques, fragiles et somptueux. |