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Interview  (Paris)  26 novembre 2006

Pascal Parsat est actuellement à l’affiche du Théâtre du Nord-Ouest, dans le cadre du cycle Montherlant, dans "La ville dont le prince est un enfant", pièce dans laquelle il donne de l’abbé de Prats une incarnation tout à fait remarquable de puissance et de sensibilité.

Il est aussi auteur dramatique, metteur en scène et professeur d’art dramatique au Conservatoire de Paris et s’est engagé dans une action, qui relève de la mission, d’accès à l’art dramatique pour tous et notamment les personnes en situation de handicap au sein notamment de la compagnie Regard’en France.

Rencontre et entretien avec un homme fascinant, radical, exigeant et profondément humaniste.

Première question puisque nous vous rencontrons au sujet de la pièce "la ville dont le prince est un enfant" vous jouez au Théâtre du Nord-Ouest : êtes-vous un habitué de ce théâtre ?

Pascal Parsat : Non. Je connais Jean-Luc Jeener, le directeur du Théâtre du Nord-Ouest depuis une quinzaine d’années et cette rencontre ne peut exister que si elle est ponctuelle. Ce plaisir il faut le préserver entre lui et moi

Donc nous ne vous retrouvons pas sur tous les cycles ?

Pascal Parsat : Non et d’ailleurs je ne le souhaite pas. Je suis toujours surpris qu’un comédien puisse enchaîner les rôles. A quel moment se ressource-t-il, se reconstruit-il, à quel moment construit-il ? Je m’interroge.

C’est donc Jean-Luc Jeener qui vous a contacté pour "La ville dont le prince est un enfant" dont il assure la mise en scène ?

Pascal Parsat : Nous avions déjà créé cette pièce il y a 5-6 ans avec une distribution qui ne me satisfaisait pas ce dont je ne me suis pas caché et ce que Jean-Luc Jeener a très bien compris. Et pourtant cette pièce ne demandait qu’à exister et à s’imposer. Cette fois-ci il me semble que nous avons réussi, lui et moi, à créer un très beau spectacle qui rencontre l’unanimité. Ce qui ne fut pas le cas dans la version précédente.

Connaissez-vous bien Montherlant ?

Pascal Parsat : Qui peut se vanter de bien connaître un mort ? Je ne pense pas qu’on puisse se vanter de cela. On peut éventuellement parler de notre instinct, de notre ressenti, et interpeller tout et chacun sur l’écriture d’Henry Montherlant si on lit ses notes personnelles. Ce que je me suis permis de faire pour "Lire en fête" où d’une manière implacable il dénonce la religion, dénonce tout pouvoir, tout risque de pouvoir, toute aliénation de l’homme et toute impuissance de l’homme à s’affranchir de ce pouvoir dans la dignité. Je crois que cela est très important.

Bien sûr on peut tout faire dire à un mort. Bien sûr qu’Henry de Montherlant a traité de nombreux sujets religieux mais non pas parce qu’il admire la religion mais parce qu’il la trouve extrêmement dangereuse. A partir de ce moment, "La ville dont le prince est un enfant" est une construction systématique sur la dimension du pouvoir. L’affect, l’autorité, la religion, l’amour sont des pouvoirs. Il dénonce systématiquement le risque et le danger du pouvoir. On pourrait dire que l’abbé de Prats a une forte attirance pour l’enfant.

On peut le lire ainsi mais aussi comme quelqu’un qui est très engagé dans son travail, un intégriste de l’éducation, nous en connaissons, ce qui n’a rien à voir avec la religion mais avec la notion du savoir. C’est occulter aussi qu’un être humain dans son action est aussi la prolongation d’un passé. Qu’est-il arrivé dans la vie de l’abbé de Prats pour qu’il ait à ce point le goût de défendre l’enfant qui est le plus défavorisé de l’école ? Cela me semble très important comme le supérieur qui lui reproche d’avoir négocié pour cet enfant certains tarifs. On peut le lire de plusieurs façons : voulait-il mettre cet enfant dans sa poche ou lui offrir une éducation ?

Le supérieur lui fait d’autres remarques sur sa capacité à s’occuper des enfants et de celui-ci en particulier. Certes mais c’est aussi parce qu’il pense, et il le dit, que cet enfant n’a aucune chance dans l’avenir parce que son milieu social est particulièrement défavorisé. Il est possible aussi que l’abbé de Prats ait occulté le fait que l’individu peut tout aussi réussir malgré les boulets que la naissance lui a mis aux pieds.

Je crois qu’il est important de lire l’abbé de Prats autrement. On sait très bien que les hommes qui battent leurs femmes ont été des fils d’enfants battus, qu’il existe une hérédité pour l’alcoolisme. Qui dit que l’abbé de Prats n’a pas été très attaché à un garçon qui bénéficiait d’une certaine aisance financière, qu’il a servi de jouet et qu’il a été un peu trahi ? Ne voit-il pas dans cet enfant la reproduction de ce qu’il était ? Et qu’il n’y a rien d’autre. Et il le dit : "Je suis votre père.

Il n’y a aucune ambiguïté sexuelle là-dedans. Et le fait pour un père de se voir retirer son enfant est un drame qui peut conduire au suicide Et je pense que l’abbé de Prats se suicide après la fin de la pièce. Parce qu’il n’a absolument rien à faire là. Un élément qui me parle particulièrement dans la pièce est le suivant : que vient faire l’anecdote du supérieur concernant sa propre attirance ?

Et je pose la question : sommes-nous capables de regarder les autres dans ce qu’ils sont ou les voyons-nous imprégnés de nous-même ? Et c’est là où l’abbé de Prats, dans mon jeu, décide de se suicider car tout ce en quoi il croyait a été bafoué par un supérieur qui parle de religion et qui finalement est le premier à avouer sa faute.

Quand l’abbé de Prats dit : "Quand bien même il serait en enfer désespérément je croirai en lui" ce n’est pas de l’amour charnel, sentimental mais de l’amour paternel comme tous les êtres humains, logiquement, aiment leurs enfants. Il s’agit donc d’une lecture très différente et je suis toujours un peu mortifié quand j’entends ce public, à consonance religieuse extrêmement forte dans ce théâtre, sourire, voire quelque part se régaler de cette dernière scène dans laquelle l’abbé de Prats plonge.

Je me demande où est la notion de l’amour, de la compassion, de l’empathie ? L’abbé de Prats est peut être une leçon pour beaucoup sur l’engagement à l’égard de l’autre. Ce n’est pas le jugement, la condamnation mais l’implication totale.

Ces réactions du public sont-elles fréquentes ?

Pascal Parsat : Oui. Systématiquement.

C’est étonnant.

Pascal Parsat : C’est effrayant voulez-vous dire. Quand les gens sont persuadés d’avoir raison c’est plus dangereux que tout. J’entrevois aussi dans cette pièce la dénonciation par l’abbé de Prats de ce que nous savons tous aujourd’hui sur ces collèges. Quand il dit que leur vie privée est impossible, il ne veut pas dire qu’ils sont des démons mais que la nuit il y a des prêtres qui viennent les tripoter. Plus ils chantent de façon bouleversante plus leur esprit est corrompu et leur vie privée impossible. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont des démons mais qu’il y a des gens qui en profitent. Et le supérieur le dit : "Est-ce qu’on chante comme cela ?". Oui, c’est la nature.

Nous avons aujourd’hui de nombreux exemples qui confirment que plus d’un homme a oublié que c’étaient d’abord des enfants. Je suis athée comme Montherlant qui le revendique et le dit haut et fort. Donc je ne regarde pas la religion. Je suis pour la spiritualité mais pas pour le dogme ou la fédération. Et nous avons ce débat permanent avec Jean-Luc Jeener qui est à fond dans la religion, ce que je respecte, mais nous avons tous deux le goût de l’homme.

Mon travail depuis 15 ans à l’égard des handicapés me situe dans l’action et non dans le discours. Je n’ai pas besoin de me mettre à genoux pour une puissance supérieure alors que tant d’hommes dans la rue ont besoin que l’on se mette à genoux à côté d’eux pour leur parler.

Il n’est peut être pas utile de revenir sur la distribution antérieure qui ne vous satisfaisait pas …

Pascal Parsat : ….on peut le dire. Il s’agissait d’une distribution qui ne convenait pas surtout pour les enfants. Quand l’acteur qui joue Sevrais a plus de 30 ans… il est difficile de lui dire vous n’aurez pas votre bac ou alors il est profondément attardé !

Dans la nouvelle distribution, le rôle de Sevrais est joué par Guillaume Raoust qui vous tient la dragée haute si je puis dire alors que vous avez beaucoup plus d’expérience et de métier que lui.

Pascal Parsat : C’est cela le théâtre. Maxime est mon élève au Conservatoire et si j’ai accepté de jouer cette pièce, dans des conditions qui sont toujours très contestables au Théâtre du Nord-Ouest, sur tous les plans humain, logistique, artistique, éthique, c’est pour que le public voit Maxime. Je voulais que les gens voient ce qu’est la différence et l’engagement de quelqu’un qui ne s’apitoie pas sur son sort et ne renonce pas à ses ambitions. Parce qu’à l’extérieur on pourrait éventuellement penser à quoi bon ? Et d’ailleurs quand il entre sur scène cela jase dans le public. Cela m’interpelle bien évidemment.

Je suis extrêmement fier de mon élève et je lui voue une grande admiration, dont il n’a peut être pas conscience mais cela ne le regarde pas, et je suis convaincu que, si la vie ne l’abîme pas, il fera partie des comédiens dont on parlera demain. Quand je joue avec lui, je joue avec un partenaire et non avec mon élève. Et je pense que cela est réciproque.

Est-il envisageable et envisagé de reprendre ce spectacle dans un autre lieu ?

Pascal Parsat : C’est même souhaitable. Jean-Luc Jeener nous a proposé de le continuer et nous lui avons donné notre accord à l’unanimité mais pour la jouer ailleurs.

Et ?

Pascal Parsat : Pour le moment, nous n’en savons rien. Tout est entre les mains de Jean-Luc Jeener.

Et vous ?

Pascal Parsat : Quand je porte un projet je me bats pour le réaliser. Quand on m’emmène dans un projet je me bats pour qu’il soit de qualité. Pour le reste je ne suis pas responsable.

Vous êtes acteur, metteur en scène, auteur, professeur au Conservatoire et fondateur de Regard’en France Compagnie ? A ces différents titres avez-vous des projets dont nous pouvons parler ?

Pascal Parsat : Je vais sans doute reprendre le spectacle "Vienne 1913" pour lequel Jean Luc Paliès m’avait engagé l’hiver dernier et que nous avons joué à l’Espace Rachi. Nous le reprendrons dans ce même lieu au printemps 2007. Il s’agit d’une pièce d’Alain-Didier Weil qui interpelle le public sur comment devient on quelqu’un alors que rien au départ ne nous y prédestine. Toute la pièce parle d’Adolph qui nous conduit à Hitler. C’est aussi la capacité du pouvoir à dire non, l’influence du pouvoir et de l’aveuglement d’une société qui nourrit des personnes comme Adolph. C’est aussi la rencontre de Jung, que j’interprète, et de Freud.

C’est une pièce absolument merveilleuse avec une mise en scène des plus particulières qui alterne une dimension de lecture au pupitre et une dimension de jeu avec deux chanteuses lyriques et un musicien qui joue sur du verre. C’est absolument magnifique, chargé de symboles et d’une intelligence rare. Le spectacle affichait complet tous les soirs et nous ferons peut être Avignon.

Pour ma compagnie, je continue à faire tourner "Colin Maillard" un spectacle que j’ai écris en 1999, qui en est à plus de 500 représentations en Europe francophone et qui a été traduit à l’étranger. Il s’agit du dernier spectacle que j’ai créé dans le cadre du concept que j’ai initié en 1993, "Les visiteurs du noir", spectacle qui se déroule dans le noir total. C’est une action théâtrale singulière ainsi qu’une interpellation sur le pouvoir rétinien de la société et sur ce que nous serions dans un monde d’aveugles puisque nous les ignorons volontiers.

Et puis je viens d’adapter "Vol de nuit" de Saint Exupéry qui sera une première mondiale que nous créerons en octobre 2007 au Théâtre André Malraux à Rueil Malmaison.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre action au sein de Regards en France.

Pascal Parsat : J'ai créé Regard’en France Compagnie en 1993 qui a pour objet d'interpeller le grand public sur la difficulté à être différent avec un chantier qui s'est immédiatement imposé à nous, le handicap dont on ne parlait pas absolument pas à l'époque. J'ai donc été un des pionniers dans la culture non pas à être dans la démagogie et le militantisme mais de faire en sorte que, à travers la culture, le spectateur soit lui-même impliqué non pas dans un discours mais dans une action physique pour prendre conscience que ne pas voir cela ne veut pas dire ne pas vivre mais vivre autrement et que pour autant il convient d'appréhender et de respecter ceux qui vivent autrement.

La cité n'octroie pas beaucoup de place à ceux qui ne vivent pas comme le groupe et je crois que le groupe est constitué de gens qui ont eu peur d'être seuls et qui doivent finalement s'interroger. Car "Tous nous serions transformés si nous avions le courage d'être ce que nous sommes" disait Marguerite Yourcenar. Que chacun se pose la question.

Cette compagnie a été créée pour une coproduction avec une compagnie belge qui s'appelait RegArt et je n'imaginais pas qu'un après ce nom de compagnie aurait toute sa valeur puisque je travaillais sur l'absence de regard. Nous avons créé des spectacles dans le noir et fait beaucoup de sceptiques. Aujourd'hui, partout où nous allons nous affichons complet plusieurs mois à l'avance. Nous avons faut beaucoup d'émules. C'était une action de sensibilisation et nous étions parmi les premiers à féliciter les entreprises de leur action de soutien des associations de personnes en situation d'handicap mais en même temps y a-t-il d'un handicap plus grave que l'ignorance ? Vous êtes en charge de toute une population, vos employés, qui est à même de pouvoir agir dans la société au quotidien et c'est à vous de travailler sur cela car vous avez une action citoyenne dans la cité.

Et cela a été un discours révolutionnaire. Car jusque là nous nous trouvions dans une dimension plutôt compassionnelle et charitable, une action d'accompagnement, voire de démagogie aussi mais pas de partenariat et de valorisation. Nous sommes donc devenus l'outil de référence des entreprises en matière de sensibilisation et de l'information et le seul centre ressources théâtre handicap documentaire en France.

Ensuite, en 2003, année européenne des personnes en situation de handicap, je me suis interrogé sur la formation que ces dernières reçoivent qui sont formé pour un projet mais à son terme que deviennent-elles ? Je ne peux pas oublier Pascal Duquesne trisomique 21 Palme d'or au Festival de Cannes en 1996. Qui a depuis revu Pascal Duquesne au cinéma ? J'ai regardé autour de moi et j'ai constaté qu'il y avait des structures de loisirs, d'intégration par le biais du théâtre mais pas de structure de formation car ce qui me semble très important c'est que le comédien soit formé dans l'autonomie et qu'il ait ensuite la possibilité , au regard de différentes propositions artistiques, de savoir ce qu'il fait, avec qui il le fait et comment il le fait et non pas d'être dépendant du délire, positif ou négatif, d'un metteur en scène.

En 2004, nous avons créé avec la Ville de Paris "O clair de la lune" qui est la première école en France, et selon nos informations en Europe, qui permet aux personnes en situation d'handicap ou pas, tous handicaps confondus, d'apprendre ensemble les fondamentaux du théâtre avec un règlement pédagogique, des contrôles, des évaluations et un cursus encadré et évalué. 29 élèves en 2004, avec une mixité, un métissage, une diversité spontanée sans que l'on ait à pratiquer une discrimination positive, 120 en 2005 et 200 aujourd'hui.

Cette école a deux antennes dans les conservatoires, une antenne à Issy les Moulineaux et de nombreuses villes nous contactent pour créer des antennes en province car notre travail consiste également à dire qu'au regard de la loi du 11 février 2005, dite loi sur l'égalité des chances, on ne peut plus ignorer que dans les structures publiques la représentativité des handicapés est des plus minime voire inexistante. A cela deux raisons : pas d'offres pas de demandes mais comme pas de demandes pas d'offres.

Il y aussi tout un public qui est captif des associations de personnes en situation de handicap qui n'ont pas encore compris que des personnes peuvent s'épanouir par la culture et qu'il important aussi d'entrevoir que toutes ces personnes, incluant les personnes âgées, les personnes sans emploi, et éventuellement les personne en situation irrégulière, ont 100% de leur temps pour aller vers la culture et que c'est peut-être le public le plus important dans les années à venir.

Selon une étude récente dans les 10 ans à venir 55% des personnes entre 39 et 45 ans seront en situation de handicap en France car la loi du 11 février 2005 a ajouté à la liste des handicaps le handicap psychique et les maladies invalidantes comme le cancer, le diabète, le SIDA, la fatigue chronique, la. Il faut aussi avoir présent à l'esprit les chiffres suivants : sur 100 mains coupées en 2005, 60 le sont à la maison, 12 de ces 55% sont des handicaps de naissance et 43% un handicap de la vie. J'avais dit à Jean-Luc Jeener que prendre Maxime, qui a un handicap, pour jouer le rôle de Sevrais dans "La ville dont le prince est un enfant" apporterait une dimension au personnage qu'un personne dit normal n'apportera pas.

A côté de cet axe "formation" nous avons créé un axe "information" qui est le Fonds Théâtral Sonore qui permet à ceux qui ne peuvent pas lire l'accès à une banque de données gratuite de l'ensemble des ouvrages de théâtre en audio.

S'agissant de la formation, avez-vous également un rôle d'accompagnement pour ceux qui veulent travailler comme comédien ?

Pascal Parsat : Oui mais je pose la question suivante : que deviennent les élèves qui sortent des conservatoires ? C'est aussi une question de personne. Mon but est de leur donner une formation qui ouvre des choix et puis de disparaître très vite. Si chacun fait son devoir je n'ai pas de raison de pallier à cette carence mais il est évident que la formation qu'ils reçoivent est sans appel.

J'auditionne 150 candidats au Conservatoire de Paris où j'enseigne et j'en garde 10 car il y en a 140 qui rêvent. Et parmi ces 10, il n'y en peut-être qu'un qui ne rêve pas. Il en est de même parmi les personnes en situation de handicap. Il faut les interpeller sur le fait que la différence n'est pas un laisser-passer, un appel à la minimisation des attentes. Il est important de dire à chacun que le respect tant d'un art que de la personne viendra par le respect des exigences et des compétences. Voilà qui nous sommes et ce que je fais.

Cela doit représenter une somme de travail colossale ?

Pascal Parsat : Oui. Je dors 5 heures par nuit. Nous avons une équipe de 7 personnes, 14 professeurs vacataires et une quinzaine d'intermittents du spectacle. Donc une énorme structure et la seule dans ce registre en France. Je ne conteste pas la qualité des autres mais il ne faut pas confondre une action artistique dans laquelle sont engagées les personnes à handicap et une formation à l'art dramatique.

Car en plus de la formation théâtrale nous dispensons des cours de chant, d'expression corporelle, de clown, de diction, de lecture à haute voix, d'improvisation et je ne suis pas sûr que l'on dispense une telle exigence d'enseignement dans les écoles pour personnes dites valides.

Pour revenir aux spectacles dans le noir, y a-t-il des non-voyants qui viennent y assister ?

Pascal Parsat : Oui parce que ce sont de spectateurs tout simplement. A une jeune fille qui me demandait qui j'accepterai de jouer avec un comédien aveugle, j'ai répondu : "Pourquoi préciser aveugle ? La seule question est plutôt : est-il comédien ?". Je connais bien des comédiens, stupides et vaniteux et qui sont de plus ou moins bonne qualité. Et ce serait bien d'en être parfois informé car c'est un lourd handicap. Et je ne dis pas que je n'en suis pas un.

Appliquez-vous cette radicalité dans votre enseignement ?

Pascal Parsat : Oui, tout à fait. Je suis réputé pour être le professeur le plus dur du Conservatoire de Paris. J'ai eu la chance d'être formé par un homme d'une extrême exigence, Jean Darnel et quand j'ai commencé à enseigner, il y a 15 ans, j'étais considéré comme un enseignant passéiste, conservateur, intégriste, parce que je travaillais beaucoup sur l'expression, sur la voix, et que je pars du principe que l'objectif d'un comédien n'est pas de ressentir mais de transmettre, de donner à réfléchir.

Mon objectif n'est pas d'être dans une dimension émotionnelle, c'est l'action qui crée l'émotion et non l'émotion qui fait l'action et aujourd'hui de nombreux metteurs en scène, de réalisateurs, de casting envoient leur élèves chez moi car c'est le seul endroit qui, à leurs yeux, apporte cette exigence. Mes élèves sont récompensés de nombreux prix dans de nombreux concours, mes élèves travaillent au delà de leur formation.

Ce sont des élèves structurés qui sont mis au pied du mur de leur ambition et non pas dans l'illusion car je trouve qu'il n'y a rien de plus terrible que de trahir quelqu'un qui vient en pleine confiance vers vous. Mon objectif n'est pas d'en faire des comédiens mais d'abord de les décourager à l'être car il y en a assez qui le sont et que si ils arrivent à l'être ils le seront longtemps.

Et dites-vous de manière abrupte aux apprentis comédiens qu'il vaudrait mieux qu'ils renoncent ?

Pascal Parsat : Je suis plus objectif que cela en leur disant tout simplement que je n'ai pas la réponse à leur demande. Parce que je suis, au delà de la radicalité et de mon intraitabilité, extrêmement conscient que je ne déteins pas la vérité je n'exprime que ma vérité ce qui n'est pas la même chose.

Chacun doit s'interroger dans ce que j'exprime comme je le fais quand les autres s'expriment. S'ils s'y retrouvent tant mieux et s'ils ne s'y retrouvent pas cela ne me remet pas en cause. Si on veut me démontrer que j'ai tort je suis tout à fait prêt à me remettre en cause, mais il va falloir se battre !

Jouer avec de mauvais comédiens doit être terrible pour vous ?

Pascal Parsat : Non parce qu'avoir une éthique n'est pas terrible mais porteur. Et puis je n'ai pas l'éthique de mon ego mais l'éthique de mon art. Cela étant à partir du moment où je joue avec quelqu'un je ne le juge pas. Je ne l'ai pas choisi mais je peux éventuellement interpeller le metteur en scène sur son erreur mais je ne peux pas condamner le comédien d'avoir été choisi. Jusqu'à preuve du contraire, lorsque je vais voir un spectacle, je ne condamne pas le comédien. Je déplore des outils qui sont plus ou moins faibles mais je m'interroge sur la lecture de la pièce par le metteur en scène mais aussi sur son éthique et son implication. Car on n'a jamais vu arriver un comédien sur un plateau sans qu'on le lui demande !

Et puis il y a de la place pour tout le monde. L'objectif n'est pas d'empêcher les autres de faire ce qu'ils font. Personnellement cela ne me regarde pas. Et si je ne trouve pas beaucoup de plaisir dans les spectacles que je vois cela n'engage que moi et je suis très circonspect et toujours très prudent dans mes commentaires dans la mesure où je regarde aussi ce que le public aime. Et je m'interroge que les raisons de ses goûts.

Dans les spectacles dans le noir que je monte, le public est toujours unanime pour dire que ce qui est formidable est que les comédiens ont des voix et une diction incroyables et s'étonne de ne pas retrouver cela ailleurs. Cela veut dire que j'engage des comédiens que je pense être des comédiens exigeants et de qualité et non pas que ceux que je n'engage pas ne le sont pas, mais ils ne le sont pas pour moi. Je n'exprime que ce à quoi je crois et cela ne résume pas la pensée des autres.

J'ai été habitué, depuis longtemps, à ne pas faire ce que faisaient les autres et il m'a donc fallu plus que les autres, un peu comme les personnes handicapées, être dans l'exigence, dans le travail et dans une éthique plus exigeante que les autres. Je ne fais pas du théâtre parce que j'ai besoin que l'on me donne un droit à exister je ne monte pas sur scène par besoin d'être admiré. Je fais du théâtre parce que j'ai envie que l'on entende une pièce, de valoriser le projet d'un metteur en scène et un théâtre. Je n'ai pas besoin de me valoriser. Ca va très bien, merci. J'existe.

Vous êtres exigeant, radical et humaniste ce qui n'est pas courant.

Pascal Parsat : Ce que je dis souvent à mes élèves ce qui compte ce n'est pas ce que vous allez prendre à ce métier mais ce que vous allez lui apporter. Comme partout, nous nous trouvons face à 90% de gens qui sont en attente de confirmation de leur droit d'y croire. Mais qui va leur confirmer cela ? Ils sont en quête de reconnaissance au point d'aller jusqu'à la prostitution affective. Actuellement on se plaint qu'en milieu scolaire les élèves n'ont pas de respect pour leurs professeurs. Mais les professeurs ont-ils du respect pour leur fonction et pour leurs élèves ?

Je m'interroge et je dis à mes élèves "Je ne vous demande pas de m'aimer. Cela ne m'intéresse pas et moi je ne vous aime pas. Je vous respecte dans votre attente et je vous devez me respecter dans ce vous êtes venus chercher auprès de moi. J'ai un passé réel et vous avez un avenir virtuel. Donc si vous êtes d'accord avec moi c'est que vous pensez que je peux vous apporter quelque chose. Mais que m'apportez-vous pour que je vous le renvoie ? Je ne vais pas vous inoculer le talent. Vous n'allez pas me sucer le sang pour vous nourrir". Vous devez participer au combat que nous menons ensemble pour votre formation et regarder l'astreinte permanente des chanteurs, des musiciens et des danseurs.

Avant d'entrer sur scène le chanteur fait ses vocalises, le danseur fait ses barres avant de danser et nous nous sortons du bar avant de jouer. Ce qui me sidère au Théâtre du Nord-Ouest est de voir les comédiens circuler dans le hall parmi le public. Je suis consterné quand je vois les comédiens faire la caisse et quelques minutes après être vus par le public sur la scène. C'est inadmissible parce que c'est une atteinte au rêve du spectateur en lui disant que tout cela n'est pas très sérieux. Bien sûr cela n'est pas très sérieux mais c'est un mensonge que les gens ont acheté pour rêver et réfléchir.

Que pensez-vous des attentes des spectateurs et de ce qu'on leur propose aujourd'hui ?

Pascal Parsat : Je suis parfois étonné de qu'il n'aime pas ce que j'aime. Mais c'est devenu assez rare. Aujourd'hui le théâtre est, à l'instar de toutes les sociétés et tous les mouvements humains qui commencent puis s'achèvent, dans une période transitoire. Il n'y a qu'à regarder un sondage paru dans le Monde du Dimanche la semaine dernière duquel il ressort que les jeunes qui ont entre 16 et 25 ans exigent le retour aux valeurs, au respect et à la professionnalisation.

Ainsi le Théâtre du Nord-Ouest en est un exemple puisque vous avez des gens qui n'ont reçu aucune formation et qui jouent et mettent en scène. Je ne dis pas qu'ils n'ont pas de talent mais je m'interroge. Il en va de même quand on compare les gens qui cartonnent avec des chansons de valeur et de qualité qui posent question par aux chanteurs professionnels qui, au terme d'une formation longue et coûteuse, sont souvent ignorés et bafoués. Voilà le problème actuel.

Lors de mon intervention à la première journée de la diversité à la Mairie de Paris que j'animais, j'ai appelé l'attention sur la nécessité d'une réflexion sur l'amour du travail don ton parle peu par rapport à la richesse du travail, sur la dimension du maître et de l'apprenti, de la transmission du savoir comme elle existait dans les années 50, le respect de celui qui a le savoir. Par exemple, des personnes sans emploi s'improvisent serveurs et le font de manière qui amène à s'interroger sur la qualité du service par rapport au prix payé par le consommateur.

Aujourd'hui tout est banalisé et méprise et ensuite on s'interroge sur le manque de repères, la multiplication des incivilités, le manque de prise de conscience que des gens vivent en dépendant de votre pseudo liberté et de votre pseudo inconscience. Tout cela me paraît devoir être au centre des débats actuels et, sans être intégriste, il faut rappeler qu'il y a inscrit liberté, égalité, fraternité sur tous les frontons et que des gens sont morts pour cela. Je trouve dommage qu'aujourd'hui des gens meurent parce qu'ils n'ont pas su lire cela sur C'est une mauvaise mort.

Avez-vous néanmoins vu et apprécier des spectacles ?

Pascal Parsat : Je vais de moins en moins au théâtre et davantage au cinéma. Il est vrai que je suis actuellement submergé de travail et quand j'arrive à avoir enfin une soirée qui m'est offerte, j'ai aussi une vie privée et donc quelques devoirs. Et le cinéma parce que je suis un peu gourmand de nouvelle écriture qui n'a pas sa place au théâtre.

Le dernier spectacle que j'ai vu au théâtre est "Que les hommes tombent" de Christian Siméon, au Théâtre du Rond Point, qui fait partie des auteurs que j'aime bien suivre. Mais je suis toujours surpris que le nom du metteur en scène soit inscrit en plus gros que celui de l'auteur, que le nom de l'acteur principal soit plus valorisant pour la pièce que la pièce elle-même. Nous voyons le Festival d'Avignon gangrené à 50% par l'amateurisme, le café théâtre, la bouffonnerie. Il n'est plus question de théâtre.

Des gens qui font de la télévision ou de la politique deviennent comédiens du jour au lendemain ce qui incite les gens à se dispenser de toute formation et à penser qu'il suffit de frapper à la bonne porte au bon moment. La démagogie et l'opportunisme font loi aujourd'hui.

Or tout cela est éphémère et ce qui m'intéresse c'est de m'inscrire dans la durée et comme dit un proverbe arabe : "Tu n'as qu'à t'asseoir au bord de la rivière, tu verras le corps de ton ennemi passer". Donc j'attends. Et quand je vois les élèves que j'ai eu la chance d'avoir rencontrés, et qui ont eu la bonté et la gentillesse de me faire confiance je suis extrêmement rassuré pour l'avenir et j'en veux pour preuve les retours que j'ai eus des deux actions consécutives que mes élèves ont menées au Théâtre du Rond-Point. Des retours quant à leur exemplarité, leur modestie, leur humilité et leur discrétion que d'autres pourraient regarder avec intérêt.

C'est pour moi la plus belle des récompenses. Et, quand je vois Maxime Raoust sur scène tous les soirs, je me dis que je ne me suis pas trompé dans mes choix. Cela ne veut pas dire que d'autres doivent y croire mais moi je suis fier de ce que j'ai fais et en accord avec moi-même. C'est le plus important !

 

A lire aussi sur Froggys'Delight :

La chronique du spectacle "La ville dont le prince est un enfant"

En savoir plus :

Le site officiel de Pascal Parsat
Le site officiel de Regard'en France Compagnie
Le site officiel du Fonds Théâtral Sonore
Le site officiel de l'Ecole "O clair de la lune"


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Holyshit ! - Théâtre de La Reine Blanche
Frida Kahlo - La Scala
Les petits chevaux, une histoire d'enfants des Lebensborn - La Reine Blanche
Le Petit Prince - La Scala
Burn Baby Burn - Petit Théâtre du Gymnase Marie Bell
Looking For Jaurès - Théâtre Essaïon
Tout le monde il est ... Jean Yanne - Théâtre Le Funambule Montmartre
L'Addition - Théâtre Sylvia Monfort
Les Caroline - Théâtre Les Enfants du Paradis
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