Pour célébrer le 70ème anniversaire de la Cinémathèque Française, Marianne de Fleury et Laurent Mannoni ont conçu une remarquable exposition sur le Cinéma expressionniste allemand, thème cher à son fondateur Henri Langlois.
Elle est composée de dessins, maquettes, scénarios et affiches appartenant au fonds documentaire de la Cinémathèque, une collection exceptionnelle et unique au monde, collecté pendant près de 30 ans par sa collaboratrice Lotte Esner.
La mise en espace a été confiée à Dominique Brard qui a créé une scénographie labyrinthique très esthétisante d’ombres et de lumières particulièrement adapté à la thématique qui s’achève en apothéose sur une explosion de rouge avec le corps expressionniste après avoir évoqué le décor du film expressionniste.
De 1905, année de fondation du groupe de peintres "Die brucke" qui proclamait la naissance de l'expressionnisme à 1937 qui vit se tenir à Munich une exposition des arts dégénérés organisée par Goebbels, l'expressionnisme allemand recouvre tous les mouvements artistiques d'avant garde initiés dans les arts plastiques qui essaima dans tous les arts y compris le cinéma ainsi qu'une notion stylistique.
L'expressionnisme dans le cinéma, dont les noms les plus célèbres sont Wiene, Lang ("Métropolis"), Murnau ("Nosferatu"), Pabst ("Loulou"), Leni ("Le cabinet des figures de cire") se révèle un syncrétisme des influences puisées dans les autres arts comme le théâtre pour les jeux de lumière ou l'architecture futuriste et la peinture romantique pour les décors et la littérature fantastique pour le scénario.
Tous les dessins préparatoires aux films sont des œuvres à part entière dont le style de leur auteur est nettement reconnaissable. Construits suivant les lois de la composition d’un tableau, ils sont l’œuvre d’artistes les architectes-décorateurs qualifiés de "Filmarchitekte" dont notamment Andrei Andrejew, Otto Erdmann, Emil Hasler, Otto Hunte, Erich Kettelhut, Hans Poelzig, Walter Röhrig, Walter Schulze-Mittendorff, Ernst Stern.
Le premier film expressionniste, et le plus emblématique, sera "Le cabinet du Docteur Caligari" réalisé en 1919 par Robert Wiene dont la reproduction du décor constitue le point central de l'exposition.
Le cinéma expressionniste allemand s'appuie sur la distorsion des objets, les formes architecturales symboliques et archétypales, comme la tour ou les escaliers, pour créer une atmosphère étrange, inquiétante, des décors réalistes et cependant théâtralisés à l’extrême et la primauté de la lumière ou plutôt des clairs-obscurs très contrastés sans souci de réalisme ou de cohérence.
La nature est toujours hostile et inquiétante emplies de créatures monstrueuses et les rues, ruelles moyennageuses ou carrefours futuristes, sont les lieux de tous les dangers.
Les intérieurs sont profondément angoissants car déformés, sans perspective, les angles sont anormalement accentués, et témoignent du chaos interne du sujet.
Dans ce royaume infernal des ombres, l’homme expressionniste, docteur fou, vampire, tyran, assassin ou somnambule, est complètement abstrait.
llluminé, vidé de toute psychologie, il est soumis à des forces incontrôlables d’un psychisme délirant, en lutte avec ses démons.
L'exposition permet également de constater l'influence profonde tant de l'âme allemande tendue vers le romantisme que de la crise interne de la société allemande à cette époque.
Par ailleurs, elle souligne le rôle important de ce courant majeur qui de Walt Disney (preuve à l'appui dans l'exposition "Il était une fois Walt Disney" au Grand Palais) à Tim Burton en passant par Orson Welles et Werner Herzog, a considérablement influencé le cinéma. |