La fermeture alternée des deux étages du Musée National d'Art Moderne, rendue nécessaire pour la rénovation du système anti-incendie, a permis au Centre Pompidou d’élaborer deux expositions exceptionnelles.
La première "Big Bang", qui s’est tenue du 15 juin 2005 au 27 février 2006, était une exposition pluridisciplinaire pour une "nouvelle lecture de l'histoire de l'art comme champ ouvert à l'expérimentation" montrant que l'art s'est complètement renouvelé au 20ème siècle selon un schéma de destruction créative.
Du 5 avril 2006 au 29 janvier 2007, la seconde, "Le mouvement en images" propose une traversée de l’art moderne et contemporain du point de vue du cinéma en replaçant ce dernier dans le champ élargi de l’histoire de l’art et les données fondamentales du film sont appliquées aux autres champs de la création artistique.
Alors que d’autres expositions, comme "Le cinéma expressionniste allemand" qui se tient à la Cinémathèque française et "Il était une fois Walt Disney" au Grand Palais, décrypte l’influence des arts sur le cinéma, le Centre Pompidou propose donc une réflexion inversée, penser l’art à partir du cinéma.
L'exposition rassemble de nombreuses œuvres peinture, sculpture, photographie et design autour de films d’avant-garde, de films expérimentaux, de vidéos d’artistes et d’installations, le tout présenté dans une scénographie cinétique.
Une grande salle obscure, dans laquelle des films expérimentaux sont projetés, en boucle, sur d’énormes cimaises gris foncé ou diffusés par des moniteurs encastrés, qui se présente comme une avenue qui dessert de part et d’autres des salles dans lesquelles sont placées les oeuvres statiques.
L’inscription dans la temporalité par l’introduction du mouvement dans des oeuvres statiques
Pendant que le cinéma expérimental explore le morcellement des images "Portait" de Peter Kubelka, "Hand Catching Lead" de Richard Serra, "Image par image" de Robert Breer) et la division du film est transposée en sculpture ou en peinture par la répétition des formes pour créer l’illusion du mouvement et inscrire l’œuvre dans la durée.
Cette répétition est protéiforme : par démultiplication d’une image à chaque fois légèrement modifiée ("Ten Lizes" d’Andy Warhol, "Le Peintre et son modèle" de Picasso),
par sérialité des motifs (Matisse pour les vitraux de la chapelle du Rosaire de Vence), par répétition minimaliste ("Stack" de Donald Judd), ou par répétition aléatoire (François Morellet "Six répartitions aléatoires…").
Le cinétisme peut aussi résulter du déplacement du spectateur ainsi que l'illustre la décoration de l’antichambre de l’Elysée pour Georges Pompidou éxécutée par Agam.
La reconstruction artificielle du champ visuel
De la fragmentation (Tony Cragg) à l'assemblage, les artistes explorent tous les procédés pour réaliser l'opération de ré-assemblage des images séquentielles intervenant dans le cinéma.
Le collage, l'équivalent direct du montage, est souvent pratiqué et ce dans des buts parfois très différents (les romans-collages de Max Ernst, "Shiva" de Robert Heinecken).
Il peut se transformer en assemblage en deux dimensions ("President Elect" de James Rosenquist),en trois dimensions ("Oracle" de Robert Rauschenberg, "Plight" de Joseph Beuys), en assemblage de fragments d'une même image ("Soudain l'été dernier" de Martin Raysse) ou de fragments d’images en une séquence unique ("Modular painting with four panels" de Roy Lichtenstein).
Le pouvoir de la lumière
Une des composantes du cinéma est la lumière. Quand on pense projection appliquée aux arts statiques, on pense immédiatement au dripping de Jason Pollock qui projette la peinture ou la laisse couler sur la toile utilisée comme substitut de l’écran.
Mais une source lumineuse est utilisée pour doubler le réel (Toni Grand) ou en modifier sa perception ("Valstar Barbie" de Claude Levêque)
et créer des formes en mouvement ("Léda" de Brancusi, Calder, Olafur Eliasson).
La narration picturale
Après le défilement, le montage et la projection, il ne restait plus qu'à explorer la voie de transposition du récit cinématographique.
Cindy Sherman, pionnière de la photographie post-moderne, a travaillé sur la pose d'image arrêtée dont elle s'est inspirée pour ses séries de photos Untitled Film Stills. Robert Longo utilise également ce procédé pour saisir le corps en mouvement et décomposer ce dernier ("Men in the cities"). D'autres artistes ont plutôt envisagé la peinture sous l'angle du storyboard ce qui se concrétise sous forme de polyptyques pour des amorces de scénario ("Revolution" de Bruno Perramant) ou pour dépeindre une réalité globale à partir de plusieurs points de vue (les clichés "Miracle Mile" de Brandon Lattu). L'influence des arts dans le cinéma est souvent abordée au plan muséal. L'inverse l'est moins et il revient donc au Centre Pompidou, et au commissaire de l'exposition Phillippe-Alain Michaud, le mérite d'avoir posé les termes d'une telle réflexion.
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