La bande dessinée entre au musée à l’image de la fusée rouge et blanche placardée sur sa façade dont nul n'ignore qu'elle est celle du double album "Objectif Lune"/"On a marché sur la lune" d'Hergé. Car un tintinophile sommeille en chacun de nous.
Mais ce n'est pas Tintin qui est au cœur de l'exposition organisée par le Centre Pompidou conjointement avec les Studios Hergé.
C'est son père de papier, Hergé, deux initiales inversées pour le pseudonyme d’un des plus célèbres créateurs de bandes dessinées qui ont fait le tour du monde et la joie de plusieurs générations d’enfants… et de parents.
Car Tintin appartient aux grandes figures de la tradition franco-belge, d'ailleurs toutes antérieures à 1960, qui ont intégré les bibliothèques familiales et constituent une lecture trans-générationnelle.
La preuve le nombre considérable de visiteurs adultes souvent non accompagnés d'enfants.
Le centenaire, en 2007, de la naissance d'Hergé fournissait une belle occasion pour une exposition grand public - et gratuite - qui se trouve également être la première concrétisation du souhait du Musée national d'art moderne d’illustrer l’importance de la bande dessinée dans l’histoire de l’art du 20ème siècle. Au demeurant, le Centre Pompidou présente simultanément "BD Reporters" une exposition d'exploration de la relation du voyage et du dessin.
L'intérêt majeur de cette exposition, au demeurant très classique d'exposition hagiographique sous forme de rétrospective chronologique doublée d'une approche thématique de l'œuvre d'Hergé, tient notamment à la présentation de séries peu vues comme Quick et Flupke, Jo, Zette et Jocko, et surtout des originaux de dessins.
La scénographie a été voulue simple, sobre et lisible en hommage à la "ligne claire" d'Hergé.
Elle se décline en deux couleurs, à l'image de la fusée, le rouge et le blanc, qui se trouvent être, pour la première, la couleur préférée d'Hergé et, pour la seconde, la couleur traditionnelle du musée contemporain.
L'exposition, sur deux niveaux, commence avec des vitrines chronologiques, qui se déroulent à l'instar d'une bande dessinée, pour raconter la vie et l'œuvre du dessinateur.
Ensuite, notes manuscrites, enregistrements sonores, correspondances et autocaricatures complètent le profil du dessinateur.
Au centre de l'exposition, le point d'orgue, la très belle salle gardée par deux dragons consacrée à l'album mythique "Le lotus bleu" datant de 1936.
Elle regroupe l'intégralité des planches originales exécutées en noir et blanc, rehaussées au lavis bleu pâle, réalisées à l'aquarelle.
Une créativité pérenne
La créativité d'Hergé a été féconde et ne s'est jamais interrompue.
Dès 1923, il publie ses dessins dans "Le Boy-scout belge" puis dans des journaux illustrés pour enfants comme "Le Petit Vingtième" supplément hebdomadaire pour la jeunesse du journal "Le Vingtième siècle" et "Coeurs Vaillants" magazine hebdomadaire catholique qui fut l'un des premiers à publier "Les aventures de Tintin et Milou".
Parallèlement, la série des aventures de Tintin va être publiée d'abord dans un magazine hebdomadaire appelé "Le journal de Tintin" puis sous forme d'album, le premier étant "Tintin au pays des Soviets" paru en 1937.
A partir de la documentation et des dessins relatifs à l'expédition de Tintin sur la Lune, le "Making of" d'un album illustre les différentes étapes graphiques du processus d'élaboration : découpage graphique, crayonnage, mise au net et mise en couleurs et dialogues.
Une étonnante modernité
Bien que certains albums soient liés à des contextes historiques très précis, ils demeurent quasi intemporels.
Ce qui explique leur succès aujourd'hui encore sans doute parce qu'Hergé a conservé la fameuse "ligne claire", un trait simple et des aplats de couleur en fait imposés par les contraintes techniques de l’imprimerie garants d'une grande et universelle lisibilité.
Et puis, malgré des caractéristiques physiques singulières, Tintin est un personnage neutre, entouré de personnages hauts en couleur mais archétypaux, une famille de papier subsitut de la famille, ce qui permet l’identification du lecteur sous toutes les latitudes mais aussi sous toutes les époques.
Par ailleurs, Hergé a créé une représentation d'un monde fictionnel mais comportant une réelle cohérence interne qui reçoit un écho passionné aujourd'hui encore.
Longtemps considérée comme un art mineur, la BD appartenait, jusqu'en 1960, à la contre-culture livresque.
Devenue divertissement, elle intègre la nouvelle culture de masse. La création littéraire et graphique inhérente à la BD a été reconnue et son entrée au musée consacre sa reconnaissance comme 9ème art ce à quoi elle a toujours tendue. N’y a-t-il pas, depuis 1991, un Musée de la bande dessinée à Angoulême ?
Quant à Tintin, c'est bien vivant qu'il séjourne dans ce lieu après avoir échappé à la muséification dans une fausse expansion de César. Ce dont le menaçait l'abominable Rastapopoulos ("Réjouissez-vous, votre cadavre finira dans un musée).
Et personne ne se doutera jamais que cette œuvre, qu’on pourrait intituler "Reporter", constituera la dernière demeure de ce petit Tintin, imaginée par un Hergé à l'humour (visionnaire ?) dans son dernier album inachevé, "Tintin et l'Alph-Art". |