Tout commence par un rêve, et se prolonge dans la réalité post-rock de ce premier titre, "From the North", élévation frénétique vers la pesée des âmes, jugement dernier, l’éternité derrière la porte. Aujourd’hui que tout album classé rock indie vend au bas mot 50 000 albums en France, le Spirit d’Apse redonne un sens à l’indépendance. Et accessoirement une bonne claque au post-rock qui se perdrait jusque là en dérivations sonores bruitistes.
Apse, groupe quasi inconnu sur nos terres, sors donc un Spirit de New York, USA, avec une fraîcheur rarement entendue dans le low-fi expérimental, loin des ambiances fin du monde sur fond de distorsions qui traînent ça et là dans les rayons post-rock.
Dans le cas de Spirit, il faudrait sans doute parler d’après rock, de survie sonore avec cette incroyable montée en puissance perceptible sur "Legions", opus de sept minutes rythmées par une batterie sortie tout droit de Can, des chants indiens quasi vaudous, ambiance malsaine des rites où le sacrifice est nécessaire.
Les fantômes se toisent, se saluent, écoutant Boards of Canada et Radiohead, fêtant la fin d’une ère, le début d’un nouveau chemin, entre le new age et Mogwai. De qui Apse est proche tout en étant lointain. Proximité de l’instrumentale qui explose en cours de route, éloignement par le parti pris des américains à développer leurs compositions sur la longueur. Avec des cassures, des cicatrices ("From the north", à la limite pastiche intègre sur lequel Kevin Shields n’aurait pas craché) et des survivances.
L’incroyable particularité de cet OVNI, en un sens, est de proposer à l’auditeur une seule et même piste, bande-son d’un film imaginaire aux longs travellings sur la ville qui dort. Les pistes s’emboîtent les unes sur les autres, s’empilent comme les couches de synthés, s’énervent sur l’excellent "The Crowned" et ses batteries qui chevauchent, galopent avec rage. Et toujours ces chants incantatoires. Le chant grégorien n’est jamais très loin. A la différence près qu’ici le fil est électrique. Ou carrément fusion de blaxploitation et de new wave ("Blackwood gates").
Inconsciemment, Apse se rapproche de Thom Yorke et de l’électrocheap, tentation sublimée du laptop instrumental. Joué avec des boucles vocales dont le message n’est pas dans la parole, mais dans le rythme. Sexuel.
Sur le fil tendu. Fragile et complexe. Spirit est donc un grand album, que peu sans doute écouteront, mais qui laissera des traces. Qu’on espère indélébiles. |