"La fatalité veut que l'on prenne toujours les bonnes résolutions trop tard". La citation d'Oscar Wilde me revient en flash-back en ouvrant malencontreusement les portes de la salle pour une première partie plus ravageuse que le typhus.
Si le Comte est bon, humainement parlant, avenant, empathique, rigolard et sympathique, la musique est quand à elle à l'image de la Nouvelle scène française. Surfaite, grossière de poésie au ras du parquet ("On finira tous à vélo", sur le thème engagé de la pollution qui tue, ce genre), produit de tête de gondole même pas rentable tant elle fut vue et revue par d’autres plus talentueux. Armé de sa guitare acoustique, le Comte de Fourques visite son répertoire à sortir sur Cd prochainement, et si le jeu de guitare s’avère folk et percussif, il peine à atteindre la réelle sensation 2006 du genre, Joseph d’ Anvers.
Le pop/folk à texte ne valant qu’avec des textes, et non des mots mis à la suite les uns contre les autres, les chansons s’enchaînent avec une lucidité dans le titre évidente ("Sans me forcer", "Oublie moi") qui font oublier la voix chaude et vibrante d’un auteur compositeur français à oublier vite. Très vite, car ici les ficelles prennent la forme de grosses cordes.
Puis Duke Special entre en scène, impérial, en total décalage avec le massacre auditif décrit ci-dessus, et ce avant même d’avoir effleuré son piano de bois.
Peter Wilson, le hippie-chic revient ici à Paris en tête d’affiche, quelques mois seulement après son passage en première partie de The Divine Comedy. Et d’emblée, en introduisant "Everybody wants a little something", Duke fait mouche et impressionne par ses qualités vocales, qui le place directement au niveau de Rufus Wainwright dans la catégorie des pianistes chefs d’orchestre à l’univers inclassable.
Le Duke sait y faire lorsqu’il s’agit de recréer la chaleureuse ambiance des Noëls en famille, tous là autour du feu qui réchauffe. Sur "Portrait", le Duke confirme que piano et show peuvent aller de pair, ses influences vintage jazzy (Cole Porter, Gershwin) remontant à la surface, l’Irlandais se lâche, exulte, ne tient plus assis, débute quasiment toutes ses intros debout, tel un Jerry Lee Lewis voulant manier le manche plutôt que l’ivoire. Et puis se rassoit.
Lançant un brin goguenard à la foule qu’il apprend le français avec sa sœur, qui lui a prêté la veille un CD audio d’entraînement. Salle hilare lorsque Duke prononce les deux phrases apprises la veille : "Je suis de Bordeaux", "Je suis fonctionnaire". Fou rire général, le Duke est fier de son effet.
Mais l’essentiel ici n’est pas de faire rire, mais d’étonner, et sur ce registre, Peter sait y faire, comme sur le "Last night I nearly died", mille fois plus pointu que n’importe quel titre de Keane, aussi bon qu’un vieux Joe Jackson ou Billy Joël. Un pianiste à voix d’or et aux compositions brassant large dans les influences.
Moment d’apaisement sur le génial "No cover up", qui tire les larmes hors des orbites, puis de la pop en barre avec "Slip of a girl". Le Duke mérite bien son titre, accompagné par un groupe d’illustres névropathes (Spécial dédicace au batteur trollesque et ses tentations de violentes sur cymbales).
En synthèse et pour conclure, Duke Special, hybride de Robert Smith et d’un ganjaman aux dreads foisonnantes, ouvre une carrière qu’on espère longue et prospère. Le piano a encore de l’avenir, et l’Irlande enfin un meilleur représentant que Bono. |