Mi-punk mi-dread, totalement génial, Duke Special était de passage à Paris voila quelques jours pour un concert époustouflant de virtuosité, jouant sur les gammes, batifolant avec le public, jouissant de bonheur à l’idée d’être tête d’affiche pour la première fois à Paris, après son passage en catimini en première partie de Divine Comedy.
Retour aux sources pour un entretien fleuve qui voit le Duke parler de piano et d’influences, avec courtoisie et bonne humeur. Et quelques mots en français au passage…
Vous arrivez du Père Lachaise à l'instant. J'ai l'impression que c'est un pèlerinage obligatoire pour les musiciens d'Angleterre et d'ailleurs...
Duke Special : J'adore cet endroit, me balader dans les allées. C'est incroyable. J'adorerais avoir un appartement là-bas! (rires)
Ce serait un peu glauque non? Je suppose que vous êtes allé sur la tombe de Jim...
Duke Special : C'est assez difficile d'accès. Il n'y a pas que lui non plu. J'ai "vu" Edith Piaf, Oscar Wilde, Chopin...Jim Morrison c'est un peu le cliché du cimetière quand même.
Parlons pour commencer de votre concert de hier soir (ndlr : à la Maroquinerie), vous avez pris énormément de plaisir à jouer hier soir, ça se sentait...
Duke Special : Oui énormément. C'est la deuxième fois que je joue à Paris, après avoir joué à l'Olympia avec Divine Comedy, ce qui était un très bon commencement cela dit, puis j'ai fait un show de promotion à la radio sur l'une de vos radios nationales, NRJ, qui dit que plus d'un million d'auditeurs t'écoutent de chez eux. C'est assez flippant comme gimmick! Il y avait seulement dix personnes dans le studio, assez impressionnant. et puis hier soir j'étais la tête d'affiche, c'est assez honorifique pour le groupe et moi.
Comment avez-vous trouvé cet incroyable piano en bois, que vous semblez trimballer partout avec vous d'ailleurs?
Duke Special : En fait, c'est un ami à moi qui l'a construit, David Ford, un brillant compositeur de Brighton dans le sud de l'Angleterre. Au départ ce piano était pour lui, je lui ai demandé de m'en construire un, car je trouvais le modèle incroyable. J'étais très honoré qu'il le fasse pour moi... Bien j'adore également jouer sur des pianos classiques, comme il y a deux ans sur un Steinway. C'est un son magique. Mais ce piano en bois c'est un peu une partie de moi.
Votre jeu de piano est d'ailleurs très singulier, vous débutez pas mal de vos intros debout, comme Jerry Lee. C'est une attitude très rock star non? On est loin des pianistes classiques.
Duke Special : Tout à fait. J'ai grandi en voulant être une rock star, être guitariste, et puis j'ai trouvé un piano sur ma route. Et cela a été comme la rencontre de deux mondes. Jouer sur un piano de manière classique, comme si c'était un instrument très respectueux, cela m'ennuie. On peut faire un vrai show en étant pianiste, même être punk rock!
Quand vous étiez enfant, vous pensiez déjà à devenir une rock star?
Duke Special : Tous les enfant grandissent en voulant devenir une rock star, font de l'air guitar dans la glace en trafiquant leur cheveux. Puis la majorité trouvent un boulot stable, peu considèrent la musique comme une activité stable... Et moi même je ne pensais pas en vivre un jour.
J'ai eu la chance d'avoir une grand-mère qui jouait du piano, mes sœurs également, une autre de mes sœurs de la guitare, et donc la musique, et le piano en particulier, se sont imposés naturellement pour moi. J'ai commencé à jouer des boogies rock & roll vers 13 ans, alors qu'au même âge d'autres musiciens s'initient à Protools, et tout ces logiciels d'enregistrement et de montage.
Ce premier album touche toutes les cultures musicales, du classique au jazz, du rock au boogie, pop même. Comment vous êtes vous nourri musicalement? D'où vous vient cette éducation?
Duke Special : A la base, j'aime le mythe de ces compositeurs des 60 et 70', qui travaillait dans les immenses immeubles de NY, Motown ou autres, avec Carole King, Burt Bacharach, Van Dykes Parks, qui enregistraient ces chansons avec des sections rythmiques gigantesques dans d'immenses salles.
Et le piano était l'axe principal de ces compositions, comme chez Harry Nilson, ou même Cole Porter un peu avant. Gershwin, Irvin Berlin, etc... J'aime les comédies musicales, le fait que tout le monde chante autour du piano. J'aime le rock également, l'attitude et l'énergie. J'aime de toute façon tout ce qui est visuel. J'ai pioché dans tous ces genres pour créer mon propre monde.
Et votre musique semble faite pour toucher les mélomanes de 7 à 77 ans, sans barrière. C'est une volonté non? Décloisonner et amener tous les publics vers votre musique?
Duke Special : Cela ressemble à cela oui. Récemment à Belfast il y avait de jeunes gothiques, avec leurs parents également (mais qui étaient à l'autre bout de la salle, forcément). Nous sommes une génération dont les grands-parents ont connus, et aimés, Led Zeppelin et Black Sabbath, le fossé culturel s'est énormément resserré entre ces deux générations. C’est quelque chose que j’ai toujours désiré, j’aime détendre les gens, les placer dans une ambiance spéciale, un moment à part, et cela touche toutes les sensibilités.
J’ai lu dans quelques interviews que vous aviez du mal avec votre voix au départ. C’est incroyable lorsqu’on vous entend aujourd’hui, avec une puissance et une facilité rarement entendue, mis à part chez Rufus Wainwright peut-être….
Duke Special : En fait, je jouais dans un groupe à 18 ans, alors que je n’avais jamais joué avec de batteurs auparavant, d’où certains problèmes de synchronisations ! (Rires) J’ai pris également des cours de chant intensifs, et ma voix est devenue plus forte. J’ai commencé la musique sérieusement voila 6 ans, commençant à jouer en Angleterre ma musique. Puis pour payer les factures je jouais tous les week-end dans les bars et cafés-club des reprises. Et toutes ces expériences m’ont permis de trouver ma propre voix.
Puis j’ai commencé à monter des démos de mes propres compositions, je n’avais même pas de nom.. Et puis tout s’est enchainé. Paul Wilkinson, qui jouait de la basse hier soir dans le groupe, est un grand producteur, est selon moi au niveau de Phil Spector ou Brian Wilson, il m’a aidé à trouver mon son. Je lui ai précisé à l’époque à quoi ou à qui je ne voulais pas ressembler, le fait que je ne voulais pas que mes chansons ressemblent à un "four pieces rock band", ni à des chansons de Billy Joel.
Je voulais le mélange entre Tom Waits et Harry Nilsson, The Pixies. Je voulais que cela sonne vintage et moderne en même temps. Tu parles de Rufus, nous avons joué ensemble à Belfast, puis il y a deux jours lors d’un show à Radio France.. Il est l’un de ceux qui m’ont influencé, car ce n’est pas pop-rock, c’est orchestré et moderne. Il est incroyable.
On reparle du show de hier soir, où avez trouvé cet incroyable batteur totalement fou, qui frappe ses futs comme un malade mental, et qui a un physique impressionnant en plus…
Duke Special : Ah oui, c’est certain ! (Rires). Quand j’ai réalisé les démos, nous ne voulions pas un batteur forcément technique, avec un jeu de batterie violent, pop rock. Nous voulions un jeu raffiné et discret. Et je me suis alors souvenu que j’avais rencontré Chip Bailey voila quelques années, nous étions toujours resté en contact, il a un sacré caractère, et un jeu peu conventionnel. Car il joue lui aussi souvent debout, ce qui est rare pour un batteur. Et mon groupe est incroyable, chaque musicien a d’autres projets, joue dans des groupes de jazz, Paul a son propre groupe, The amazing Pilots, Chip joue dans un groupe de hip-hop. J’aime ces rencontres et cette diversité. Comme dans ces films de western, ou le mec recrute son équipe selon leurs compétences, pour former une bande solide.
Considérez vous Duke Special comme un groupe, ou comme votre projet solo ?
Duke Special : Non, Duke Special est mon projet solo. Les compositions sont créditées Duke Special, piano et voix.
Juste pour finir, je pense à votre private joke de hier soir, vous avez commencé à parler français en expliquant que vous pouviez seulement dire deux phrases ("Bonjour, je suis fonctionnaire" et "Je viens de Bordeaux"). Vous avez bien compris que la salle était hilare car les fonctionnaires en France n’ont pas bonne réputation… La légende dit qu’ils ne travaillent pas beaucoup….
Duke Special : Ma sœur m’a apporté un Cd d’entraînement pour apprendre votre langue, et il y avait cet exercice oral pour se présenter, d’où la phrase que j’ai sorti hier soir, car c’est ma première leçon ! (Rires). J’étais justement à Radio France, et j’ai sorti la même phrase. Je comprends maintenant pourquoi tout le monde rigolait ! (Rires). Tout le monde aurait put se mettre en grève mince!! |