Tout commence dans le mensuel Technikart, début janvier, par un teaser des plus élogieux sur leur naissance. Et les blogs qui en rajoutent une couche sévère sur le prétendu génie du combo américain. Impression désagréable d’avoir déjà un wagon de retard. Ce genre d’impression qui ferait dire au Londonien de 1962 qu’il n’a pas entendu parler du Fab four.
Car les Cold War Kids s’annoncent bien comme la bombe attendue et espérée de 2007, avec un véritable brulot incendiaire et calciné en guise de premier album. Pas vu mieux depuis le Is this it des Strokes de 2001. Dans le genre rock hybride marchant à cheval sur le gazon indé et le bitume mainstream. Jonction de deux mondes qui une fois n’est pas coutume se marient bien ensemble.
Les Cold War Kids impressionnent d’emblée par leur patronyme. Les enfants de la guerre froide. Venus d’une génération qui connaît son histoire, qui a survécu au rock pompier pour skateurs à pustule, qui a ingéré Grace de Jeff Buckley avec la jaquette en intégrale.
Que le combo connaisse le Glasnost et la géopolitique des deux blocs n’a au bout du compte que peu d’importance. Car le son proposé ici est nouveau, du même acabit qu’un Arcad Fire voila deux ans, alors en pleine ascension. Sur "Hair Dow", Nathan Willett le chanteur en fait des tonnes, du haut de sa voix torturée. On le croit déjà mort, on parle ici de survie, d’émotions, de pathos mal digéré.
De cette fougue que les groupes de college US possèdent encore, la hargne de grandir au soleil. Profitez, profitez, auditeurs, de ce moment de grâce que seuls les premiers albums géniaux possèdent. L’innocence et la candeur de ce qu’on appelait jadis le rock & roll, musique d’urgence et de danger.
Du danger, justement, on en croise à tous les coins de rue sur ce premier album, qui brasse allègrement les influences comme de la marmelade coincée sur le bout des lèvres. Qu’on essuierait d’un revers de main sans vergogne. Du Velvet haute période sur "Hair Down", avec les guitares qui trémolotent, jusqu’à Dylan et son piano baltringue piano bar sur "Passing the hat", Cold War Kids impose tant par sa noblesse lettrée que par son look malfrat de rues mal fréquentées.
Ligne de basse tortueuse, piano omniprésent, "We use to vacation" est un hit indé en puissance, à l’époque du myspace et du retour annoncé aux EP’s, dans un monde devenu virtuel, en proie au danger de l’audience et du marketing. Soit deux forces qui stérilisent le combat, rendent la guerre inutile et donc froide. Dans ce contexte, Cold War Kids a bien choisi son nom.
Plus troublant encore, l’Amérique cherchait un successeur à Jeff Buckley. Qu’on le veuille ou non ("Jeff Buckley est irremplaçable, blah blah blah"), Cold War Kids investit la place laissée vacante de groupe à guitares tortueuses et cristallines qui réveillerait l’Amérique de sa torpeur urbaine. Robbers and cowards est un condensé de blues urbain qui touche la corde sensible, réveillant les masses sans toucher à la pureté de ses compositions ciselées, taillées pour la scène.
Si le combo se rapproche des White Stripes sur "Saint John", ce n’est que pour mieux s’en écarter en sautant la barricade du blues sur "God, make up your mind", proche de Devendra Banhart pour la voix qui miaule dans les aigus.
Cold War Kids s’écoutera donc au transistor, que l’auditeur le veuille ou non, des mois durant, puis se réécoutera encore, Robbers and cowards est fait pour durer. Car il évite les tentations de la modernité, en réinventant la manière de crier sa rage.
La guerre froide, si elle est bien révolue, a néanmoins permis aux enfants de Reagan de souffrir assez pour créer un premier album atomique. |