Le Destroyer de Dan Bejar s’échoue sur les côtes françaises, et une fois n’est pas coutume, pas de pollution à l’horizon. Ce drôle d’oiseau canadien publie ici un sixième album à l’envergure étonnante, pour un groupe hélas peu connu en France.
Il s’agit donc de rubis. Et l’album en contient une sacrée flopée. A commencer par ce premier titre courage, "Rubies", longue chevauchée mêlant Rhodes et guitares acoustiques, électrique, phrasé en talk-over. A cheval entre l’hispagnolade et l’indie des New Pornographers que Dan Bejar connaît bien.
On parle ici de comptines urbaines, susurrées à l’oreille, dans le creux du tympan. Tel un Woody Guthrie ayant écouté Adam Green. Le folk se met à la page, et des titres comme "Your blood" frôle l’anti-folk (sans que l’on comprenne exactement ce que représente l’anti-folk) d’Herman Dune. La voix du Zim coincé dans la gorge, Dan Bejar semble prendre un malin plaisir à déblatérer ses histoires sur un mode ironique, barde du village mondial qui raconte ses stories sur fond d’orchestre du Titanic.
Et paradoxalement, la sauce prend facilement, alternant l’orchestre un brin pochard et le génialissime glam de Bowie, saupoudrant le tout de guitares aériennes, de piano en guimauve. Et d’une littérature folk qui s’écoute facilement, pour une fois accompagnée par de vraies mélodies qui feront oublier aux pourfendeurs du genre que le folk s’écoute souvent d’une oreille, l’autre s’étant barrée depuis longtemps sur les conversations auxiliaires.
Ambiance piano bar nicotinée sur "Painter in your pocket", le bateau tangue et subit les roulis, le Destroyer tient bon, jouera sa mélodie jusqu’au naufrage, gagne ses galons de navire bien plaisant. Si la voix de Bejar ne peut laisser insensible, elle peut néanmoins s’avérer agaçante sur le long terme, à hésiter parfois un peu lourdement entre le salé et le sucré.
N’empêche, il y a du Roxy Music dans ce groupe, une bonne dose d’orchestrations à la Baxter Dury ("3000 flowers") et le goût de la mer qui frotte contre la coque. Il faut entendre "Priest’s knees" et écouter le roulis des guitares qui flottent à la surface, le piano qui subit les remous, Lou Reed qui n’est pas loin, l’air frais des matins qui se lèvent sur l’océan pour comprendre que Destroyers publie ici un album comme on n’en fera bientôt plus, avec de vraies chansons dedans. |