On pourrait longuement disserter sur la discographie impressionnante de Kieran Hebden (Leader de Four Tet) et Steve Reid (batteur jazz de légende ayant sévi aux cotés de Miles, Dionne Warwick, T-Bone Walker, Sun Ra, ce genre…), réunis tous deux autour de Tongues, projet expérimental à la folie murement réfléchie.
Mais c’est avant tout la tectonique des plaques qui est ici secouée, rencontre de deux mondes aux antipodes, l’électro-pop et le jazz organique. Si Kieran et Steve Reid ont déjà confrontés leurs univers sur deux disques, Tongues semble marquer l’avènement d’une réelle création. Les deux plaques ont bien fusionnés, à force de se culbuter.
Là où Four Tet peut s’avérer un brin binaire, les doigts emmêlés dans le chipset numérique, Tongues s’avère être un projet rafraichissant, porté par le projet de fusion entre le tripatouillage electronique et la pulsion rythmique du jazz. Inutile de dire à ce stade que la participation de Steve Reid est unique, indispensable, nécessaire. Une contribution humaine dans le monde de Kieran.
"The sun never sets", comme toutes les premiers titres de tout nos albums mythiques, est un premier titre mythique. Une avancée dans la mer du Krautrock, une prolongation du travail de Can et Neu ! enrichie du monde complexe de Kieran Hebden, ici encore plus friand de teasers sonores, d’ajouts audios, d’inserts bruitistes, de malaxation du son. Steve Reid apportant la chaleur des futs, la dynamique des batteries qui jamais ne s’endorment. Une musique cérébrale pour les jambes en manque d’émotions.
"Brain" poursuit le travail sur l’auditeur, et en dépit du bruitisme numérique insufflé par Kieran, parvient à faire monter la pression avec un Steve Reid démultiplié, sauvage et félin. Le monde est ainsi. L’auditeur danserait presque sur une tonalité de modem. Si Paris possède Zombie Zombie, sublime étendard portant au nu la musique de John Carpenter, l’Angleterre n’est pas en reste avec le duo, qui sans oser le plagiat revient aux sources de la musique instrumentales, et au Zuckerzeit de Cluster. Ni plus ni moins.
Et Tongues tourne sept fois sa langue avant de sortir une mélodie, laissant le rythme porter les titres, la violence s’exhiber facile sur le trottoir. Puis arrive un "Greensleeves", hymne traditionnelle celtique, repris depuis par Ritchie Blackmore, et ici passé au filtre Four Tet avec succès. Ne retenant que les trois notes fondatrices de la mélodie, la torturant sur pilori mais en conservant néanmoins sa ligne de vie intacte.
Dans dans tout "abstract disque", il y a bien évidemment des moments de doute, des incertitudes, des hésitations. De l’ennui ("Mirrors" et ses bruits) et des odes Metal machine music du plus mauvais gout ("Rhythm dance") qui classeront irrémédiablement ce disque dans la catégorie des disques à passer dans les galeries d’art parisienne en vogue.
Il y a malgré tout des perles high-tech sur lesquelles Justice pourrait bien ne pas cracher (le très bon "The Squid" et sa tentation électro), et au final un disque intéressant pour ses expérimentations, parfait pour les prochaines générations qui se seront accoutumés au bruit du haut-débit numérique…. |