Après avoir mis Face à face, le temps d’un double live déjà anthologique son quartet favori (où l’accompagnent M. Giuliani, M. Erbetta et P. Muller) et Ladyland, l’autre formation au sein de laquelle il évolue et à laquelle on doit Saloua, son album précédent, le trompettiste Erik Truffaz revient en studio et à plus de simplicité pour Arkhangelsk, son neuvième effort.
Erik Truffaz Quartet fut en 1997 le premier groupe français signé sur le mythique label Blue Note. Depuis, les compositions n’ont jamais cessé d’évoluer, avec pour soucis constant l’acceptation d’une mise en danger permanente dans la recherche de formes nouvelles. Jadis, c’était le métissage du jazz et du drum’n bass, ou du chant rappé ; aujourd’hui, c’est la présence en guest star de vocalistes aussi différents que le chanteur français Christophe (sur l’excellent "L’un dans l’autre", brillant de délicatesse- le genre de morceau qui peut, enfin, faire oublier les mots bleus), le crooner Ed Harcourt (sur "Red cloud", le très entraînant "Snake charmer man" ou "Nobody puts the baby in the corner") et le rapper Nya (sur "Trippin’ the lovelight").
Moins tellurique que sur l’orageux The walk of the giant turtle (Blue note 2003) ; moins drum’n bass, moins lounge que sur The dawn (Blue note 1998) ou Bending new corners (Blue note 1999), la musique du quartet, en se donnant pour nouveau cap l’isolement arctique d’Arkhangelsk (ce nom est celui d’une ville portuaire Russe, située sur la mer blanche -– au jour où j’écris cette chronique, il n’y fait que trois degrés, contre la vingtaine de ceux dont s’honore le printemps bien naissant de notre hexagone), gagne des airs d’album chanté, et accepte de se remettre elle-même en question.
La prouesse tient ici surtout au fait d’accommoder le jazz, trompette et fender Rhodes en avant, à tant de voix différentes ; de réussir à faire entendre, par-delà la diversité, l’unité d’un album que les mauvaises langues chroniquantes ne réduiront pas à la bouillie d’une compilation de collaborations entre potes musiciens. A ce jeu, Arkhangelsk s’en tire plutôt bien ; et la trompette de Truffaz avec ses sonorités chaleureuses, étirées comme on s’étire devant un bon feu, n’y est pas pour rien, qui donne un point de départ, un point d’appui, à toutes les constructions, même lorsqu’elle n’est que peu présente dans les morceaux - comme "Entre le ciel et l’eau", sur lequel elle plane très discrètement ; ou "Miss Kaba", le titre d’ouverture de l’album, qu’elle introduit délicatement avant de le laisser à ses propres développements, pour n’y émerger que par intermittences.
De la lente apesanteur de l’un à la répétitivité très moderne de l’autre en passant par le lyrisme un peu empressé d’"Akiko" ou les langueurs des "Nuits de Monsieur Naj", Arkhangelsk fait le grand écart et illustre ainsi tout la richesse de l’univers du quartet, dont elle revisite tous les recoins. Et si cet album n’est pas nécessairement le plus inspiré de la formation, il est en revanche d’une maturité totale, la musique s’y laissant entendre sûre d’elle, posée, riche.
Signalons enfin que l’édition limitée de l’album propose deux titres supplémentaires avec Ed Harcourt. L’un, anonyme, pas très loin des crooneries d’un Jay Jay Johanson revenu à la sobriété ; l’autre, plus essentiel, est une reprise nonchalante du très beau "Manon" de Serge Gainsbourg. Deux apports intéressants à un album dont la concision pourrait bien avoir quelque chose de frustrant. |