Troisième édition du plus salutaire et subversif des festivals, l'Antifolk, renommé MO'FO cette année pour remettre la salle Mains d'Oeuvres au centre de cette initiative courageuse, militante et un brin timbrée. Après deux premières programmations marquées par l'esprit des Moldy Peaches et de Lou Barlow, le festival commence à être bien rodé (a trouvé son public comme on dit dans les médias établis) et affirme une ambition renouvelée et vivante.
Comme toujours les frères Hermann Düne font office de maîtres de cérémonie, si ce n'est plus, et cette scène ouverte laissera largement la place à des collaborations plus ou moins préparées ("et les gars, si quelqu'un veut venir sur scène faire du bruit..." lâchera par exemple Jeffrey Lewis). Ainsi Q(entin) du label Prohibited et David "Kungen" Düne se retrouveront assez souvent sur scène pour agiter avec justesse respectivement le saxophone asmathique (il faut l'entendre pour bien le comprendre...) et la guitare jouet, mais plus généralement les artistes se retrouveront successivement dans le festival en avant ou en arrière plan, en tête d'affiche ou en support traduisant bien la cohérence de cette programmation.
Au final c'est un petit bout de l'Amérique qui s'échoue sur St Ouen, ce petit monde new yorkais atypique, nouveau St Germain des Près du Nouveau Monde, où on trouve une densité peu commune de génie au mètre carré.
Dans cette catégorie, on trouve en tête le barde touche à tout de Jeffrey Lewis qui marquera sans conteste le festival. Son attitude, son intelligence à fleur de peau et sa voix, à l'intonation rappellent un autre new yorkais Thurston Moore, lui assure un charisme incroyable et immédiat. Inventeur formel, il révolutionne le concept de la performance scénique et du vidéo clip en proposant une illustration en flip book quasi-grandeur nature d'une de ses chansons, la crudité des paroles se matérialisant dans la cruauté des dessins.
Le garçon cultive en effet avec les feu Moldy Peaches ce goût pour les histoires salaces mais sort du simple artifice régressif pour l'insérer dans des titres fulgurants à l'humour surdéveloppé. En effet Jeffrey Lewis a un sens de la narration rare (on ne s'étonnera pas qu'il se fasse aussi remarquer dans le milieu de la bande dessinée underground outre-atlantique) qui lui permet de captiver le public sur de très longs morceaux monocordes (sans refrain, couplets ou fioritures de ce genre) calé sur une boucle à deux ou trois accords.
Cet exercice de style atteint son paroxysme sur un tout nouveau morceau interprété en rappel sur lequel Jeffrey lit une lettre (deux pages écrites serrées) pendant lequel un groupe, improvisé autour de Jack Lewis, d'Anders Griffen et des deux frères Düne, servent le couvert dans une liberté totale ("- c'est quoi les accords déja Jeff? - La dernière fois on avait fait ACG mais tu peux mettre ce que tu veux"... pour donner un peu le ton...) : au final une performance en happening qui rappelle certains morceaux en spoken words de John Cage, Lewis n'introduisant des intonations chantés que par intermittence, l'effet hypnotique est total.
C'est sans aucun doute le set le plus abouti et réjouissant du festival, synthétisent parfaitement l'esprit et l'ambition du mouvement, moitié fou moitié génie.
Avant on avait pu le voir au sein du groupe (là encore à l'existence sans doute assez conjoncturelle) des Bundles aux côtés entre autres de Kymia Dawson, on était alors plus dans le registre foutraque et décadent des Moldy Peaches, Jeffrey ayant ajusté son t-shirt percé sur sa figure, faisant ici intimement référence aux outrances vestimentaires des pêches pourris où licorne, robin des bois et princesse trash trouvaient une nouvelle jeunesse.
Un esprit neuf et riche qui rappelle peut être le bouillonnement des sixties, ici dans une liberté et une lucidité totale et avec un paquet de talents.
Le moment attendu était sans doute avant tout la présence de notre timbré préféré, Daniel Johnston, chanteur guitariste mega-lo-fi culte et atypique (au moins) déjà parrain du festival depuis ces derniers via la charte graphique du festival tournant autour des avatars graphiques du vieux garçon. Performance a priori hautement imprévisible : le festival rejetait toute responsabilité s'il annulait au dernier moment ou s'il ne chantait que deux chansons avant de partir, le garçon cultivant avec Cat Power ce penchant chaotique qui transforme leurs concerts en parcours du combattant où tout prétexte peut être pris pour partir en vrille...
Cette fois ci Daniel Johnston sera curieusement très raisonnable et visiblement très content d'être ici et enchaînera une bonne dizaine de titres à la guitare et au piano réussissant quelques coups de maître et en offrant généreusement en pseudo-rappel les tubesques "Speeding Motorcycle" (reprise par Yo la Tengo sur Fakebook) et "Casper the friendly Ghost" (qu'on retrouve dans Kids dans la scène où Chloe Sevigny heu... enfin titre très évocateur d'une certain idée du rêve américain).
La prestation est largement imparfaite techniquement (lo-lo-fi surtout à la guitare) mais ce qui marque c'est surtout de retrouver ce personnage hors norme qui cherche ses chansons dans un cahier d'écolier avec une attitude d'anti-pop-star dans l'excès et qui a écrit des perles comme seuls les fous peuvent en trouver.
Autour de ces faits marquants on trouve une programmation riche servie par des enchaînements entre les groupes extrêmement rapides et des soirées bien remplies, à mi chemin entre les USA (le tri-state en tête) et la France (programmation moins étonnante pour ce côté-ci de l'océan forcément) qui donne un aperçu vivant de toute une scène alternative en éclosion via des groupes à périmètre variable et la création musicale qui a lieu dans les sous-sols du festival.
L'été c'est donc à St Ouen que ça se passe.
Just gimme anti folk!