J’ai toujours été très méfiant vis à vis des concerts auxquels on assiste assis. C’est que, plus jeune, j’étais fort amateur de pogos ; que le rock me passe par les pieds autant que par la tête dodelinante. Ma trentaine approchant n’y change rien : le postérieur vissé, la musique a parfois tendance à me faire un rien chier. J’en connais beaucoup d’ailleurs qui partagent cet avis, même si c’est assez secrètement ou, en tout cas, avec assez de discipline pour n’en rien laisser paraître lorsqu’il le faut - à témoin j’appellerais tous ceux qui finirent par se lever avec moi le temps de Password et Revolution (repris des Spacemen 3) durant le rappel du concert de Piano Magic à l’espace Julien de Marseille, en octobre 2005.
En arrivant ce samedi 14 avril 2007 dans le joli petit théâtre Denis d’Hyères, j’ai donc eu un long soupir désespéré. Théâtre à l’italienne, de poche, tout de rouge et d’or, aux fauteuils massés au pied d’une scène encore vêtue de son rideau noir. Public discipliné, bien assis à sa place, poli. Pas de bière à l’intérieur, merci.
Soupir & doute. Y aurait-il ce soir-là du rock ? Le Festival Faveur de Printemps ne se fourvoyait-il pas grandement en s’annonçant rock en un tel lieu ? Doute devenu crainte à entendre le discours d’introduction de la soirée : Mathis venu sans les Mathematiks pour jouer seul du blues ; Shannon Wright dont on nous annonce, entre autres choses, qu’elle sera ce soir-là plus calme qu’à l’accoutumée.
Les lumières s’éteignent et j’attends les trois coups. Quelques notes de guitare, chaudes, emplissent le silence. Le rideau s’ouvre.
Sur une chaise, Mathis à la guitare, véritable acoustique s’il vous plaît, bottleneck au doigt, quelques pédales devant lui.
On lit toutes sortes de choses sur ce français-là et son groupe. Des descriptions où se télescopent les genres, des critiques où les compliments se bousculent. Pour ma part, je n’aurais qu’une seule chose à en dire : ce type a l’âme la plus blues qu’il m’ait été donné d’entendre sur scène.
Germano-ardéchois du delta, Mathis, assis comme le public, me laisse sur le cul. Il chante et crie, rugit, miaule et fait miauler un public timide un peu ; séducteur, enjôleur, comédien ; humain, simple et humble, aussi - une guitare à la main, Mathis est irrésistible, tout simplement. Et si l’on ne peut pas se lever, on peut toujours taper la mesure du bout du pied.
Les titres s’enchaînent, compositions personnelles (dont les excellents "Blush" et "Voodoo Bitch", pour des versions solo-acoustiques épatantes) et standards (dont un très réussi "Little Red Rooster"), tout à la guitare, slide ou pas, parfois de percussions simplistes jouées au pieds sur une pédale. Comme le musicien lui-même, qui finit par annoncer un dernier titre tout en avouant ne pas trop savoir depuis combien de temps il joue, on perd le fil, envoûté par le charisme évident de l’homme.
Le rideau se referme le temps d’un changement de plateau. Les gens se lèvent, vont se dégourdir les jambes. Entracte. Un peu rassuré par la prestation de Mathis, j’essaie d’imaginer comment la musique de Shannon Wright pourra s’adapter à un public assis. Plus calme que d’ordinaire, nous a-t-on annoncé. Voilà qui peut augurer du pire comme du meilleur. C’est que j’avais oublié, tout à ma hâte de retrouver mes émotions de rocker néo-pubère découvrant avec ébahissement amoureux l’existence d’une certaine Polly Jean, que Let in the Light (Vicious Circle, 07), le nouvel album de Shannon, faisait la part belle au piano.
Ouverture de rideau, Shannon et ses deux musiciens entrent en scène, un batteur et un bassiste barbus, chevelus, de noirs vêtus - un peu décalés en ce théâtre mignonnet. Shannon, elle, a des airs de grungette sur le retour, jean & chemise, imposante frange qui cache ses yeux.
Au piano, elle gigote comme on le fait en jouant de la guitare. Sa voix est douce et mélodieuse, mais pas légère - plutôt profonde, prête à se briser en un cri au besoin. La chanteuse s’est apaisée, son évolution d’album en album est palpable. "Don’t you doubt me", "Defy this love", "Steadfast and true", chacun dans son registre, l’établira ce soir sans l’ombre d’un doute.
Il n’aura fallut que trois titres pour que le piano soit délaissé au profit de la guitare. Quelques titres plus anciens donneront alors l’occasion de beaux morceaux de bravoure rock’n’roll. Et si l’on n’aura pas droit à ce "You’ll be the death" que j’attendais avec une impatience non dissimulée, "With closed eyes" me rappellera presque aussi avantageusement la période Over the sun (Vicious circle, 04).
Reste que, dans un fauteuil de théâtre, on se sent comme isolé du courant qui électriserait tout ça. Dans un fauteuil au milieu de la salle, un gamin que ses parents n’ont certainement pas réussi à faire garder joue avec une console portable, ignorant tout de ce qui l’entoure. Sur scène, les musiciens font pourtant de leur mieux. Mais la scène est comme trop loin des spectateurs. Les applaudissements restent trop polis. Sit down ovation.
Non pas que les spectateurs ait l’air lassé d’être assis là, ou de s’ennuyer. Simplement que le soir n’est pas à la folie, à la sueur, à l’excitation. Reste l’émotion - qui atteindra un sommet pour le final de la chanteuse, seule en scène, se lamentant lentement au piano. Après un set assez court et deux rappels, Shannon Wright quitte la scène pour n’y plus revenir, malgré les applaudissements insistants. Les lumières se rallument. Fin de la représentation. |