L’omerta anti-moustache n’est pas nouvelle. Voila près de 15 ans que le modèle n’est plus en vigueur; trop de connotations, de clips 80’s saccadés, de contorsions sexuelles et d’hygiènes controversées. La moustache, à en croire la rumeur, aurait été l’ennemi du bien, le poil à abattre, celui qui gratte les artistes "bankables".
La moustache, si on s’écoutait, aurait été la preuve d’un mauvais goût discutable, trace unique des hommes homos, chemises à fleurs et cheveux gras. Phénoménologie des clichés.
Et puis il arrive. Et revient. Le Nick ressort de sa cave, avec sa moustache sous le bras. Sorte de signature du nouveau projet, son nouveau projet, sans les Bad Seeds en day off, on croit comprendre qu’il s’appelle Grinderman, ce projet. L’homme singe. Celui qui n’hésite pas à porter la moustache, justement. Enfin pas vraiment la moustache, c’est un peu plus subtil. Moustache qui descend sur le menton, sans le clôturer comme le bouc, aujourd’hui devenu émissaire.
Voila donc la grande nouvelle : Nick Cave revient sur le devant de la scène musicale avec un projet rasé de près sur les cotés, mais broussailleux blues au dessus des lèvres. La moustache de l’homme singe est de retour, qu’on se le dise, et elle pique plus que jamais.
De son dernier opus, Abbatoir Blues, Nick Cave semble donc conserver uniquement la première face, la plus énervée. Fini le lyrisme d’Orpheus. D’emblée, la rage électrique semble prendre le pas sur le romantisme, comme sur ce bordélique "Get it on" qui passerait presque pour le cousin australien de Fun House.
Cheveux grisonnants, et moustache tendance, Nick Cave semble tapé de plein fouet par la crise de la quarantaine, songeant à ses premiers amours (Birthday Party) avec mélancolie. Sans retrouver la force de ses débuts au plan vocal, le bluesmen tape juste avec Grinderman, car c’est un virage à 180° pratiqué avec la frange radicale et énervée des Bad Seeds (Warren Ellis et consort). Pas de piano, pas de mélodie, ou si peu. C’est un blues électronique qui jouit sur "No Pussy Blues".
Et l’embardée se déroule sans la moindre fausse note, car les quatre compères jouent serrés, comme si Grinderman était l’une des dernières occasions de jouer fort, électrique,énervée. Comme si le monde allait virer acoustique dès demain. Urgence. De ses amours avec Polly Jean Harvey, Nick recrache le brillant "Grinderman", chanson éponyme, sorte de ballade du marais, comptine qui colle aux boots. L’envie est encore là, et Nick Cave semble se renouveler un peu à chaque album, phoenix qui, même s’il perd un peu la voix pour conserver le talk-over, garde un beau plumage majestueux (L’étonnant low-tempo de "Go tell the women").
Et puis il y a la chanson piste 7. La chanson piste 7, c’est tout l’amour pour Nick Cave qui ressurgit en un éclat de basse virevoltante, la guitare incisive qui racle les bords, et ces paroles qui tranchent. "(I dont need you) set me free", est sans nul doute écrite dans la plus grande tradition des blues romantiques de Nick Cave. Cette chanson piste 7 possède la rage punk collée à la mélodie. On penserait presque à la Brit’ pop période The Verve avec ses soli aériens. C’est beau comme un avion qui décolle.
Mystique comme une chambre remplie de fantômes jouant au poker australien sur "Man in the moon", chanson éthérée à l’intensité intemporelle. Seul Nick Cave est encore capable, avec Mark Lanegan, de telles percées cérébrales sur le seul son de sa voix.
Et cet album, au final, est une sacrée gifle qui rappelle l’urgence des Stooges, mais sans le déambulateur et les rhumatismes. Vive la moustache. Vive le blues. |