Texte d'Albert Cohen, mis en scène et interprété par Aurore Prieto sur une scénographie, des lumières et une création sonore de Soï.
Avec son titre magique, "Belle du Seigneur" est un roman double, une sublime histoire d'amour, qui porte ses protagonistes au panthéon des amants magnifiques et son symétrique, la démystification et à la démythification de la passion.
Aurore Priéto, s'est à juste titre intéressée à la personne, et à la parole, de Mariette, qui, par le biais du monologue intérieur, est érigé en personnage presque essentiel du roman, non pas dans l'action mais dans sa narration.
A la fois chœur antique, soubrette de comédie, servante romanesque, image maternelle, figure normative et factotum de l'auteur, Mariette est un beau personnage de femme, extrêmement riche, qui procède, par sa déferlante logorrhéique délirante et ressassante, au vocabulaire et à la syntaxe fantaisistes, à la désacralisation de l'amour humain.
Car si son parler caractérise le personnage, ce qui permet à Albert Cohen un travail jubilatoire sur le verbe, il a aussi pour finalité de voir de l'autre côté du miroir de la passion et de révéler le propos fondamental de l'auteur.
Directrice de la Compagnie Le Ricochet solaire qui développe une esthétique pluridisciplinaire, Aurore Priéto a choisi le dernier monologue de Mariette, celui du chapitre XC, qui est focalisé sur la théâtralisation et la systématisation de l'amour vécu par les deux amants dont la phobie de la réalité corporelle de l'autre n'est qu'une tentative désespérée de nier l'animalité et la mortalité de leurs corps.
Dans une étonnante scénographie visuelle et sonore de Soï autour du symbolisme de l'eau, elle en a privilégié la dimension burlesque et tragique pour une prestation surprenante et captivante, presque surréaliste, débarrassée de toute représentation réaliste, pour, précise-t-elle dans ses notes de travail, "convoquer la voix d'Albert Cohen et à travers elle, le temps, la mémoire et le destin".
Elle y est parvenue.
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