A Giverny, situé dans un environnement cher aux impressionnistes, à flanc de colline, près d'un jardin fleuri et d'une prairie de coquelicots, le Musée d’Art Américain propose une très réussie exposition consacrée à la colonie d'artistes qui s'y était implantée.
Pendant 30 ans, de 1885 à 1915, le petit village normand où s'est installé Claude Monet, dont il disait "Je suis dans le ravissement, Giverny est un pays splendide pour moi", sera investi par des artistes étrangers de toute nationalité, en majorité américaine, qui, de simples séjours dans une destination à la mode à l'installation durable, fonderont une véritable colonie à l'instar de celle de Barbizon ou Pont Aven.
Réalisée grâce à de nombreux prêts de collections publiques et privées tant européennes qu'américaines, "Giverny impressionniste" relate la production picturale de ces artistes qui, si elle fût fortement inspirée par Monet, s'en est largement écartée notamment au plan conceptuel. Dans les trois superbes salles d’exposition aux niveaux décalés, les toiles sont préentées dans une scénographie agréable et sereine, sur des cimaises peintes aux couleurs chères aux impressionnistes, le jaune et le violet.
Est retracée l’évolution chronologique, stylistique et thématique des œuvres des artistes de la colonie qui seront qualifiés de "luministes" lors de leur exposition commune à New York en 1910.
A mi-parcours, afin d'éclairer l'exposition, une petite salle regroupe des documents d'archives.
Elle comporte, quelques exemplaires du journal illustré élaboré au sein de la colonie, "Le courrier innocent", ainsi que des photos.
Celles de Théodore Robinson, qui lui servaient de modèles pour ses tableaux, et les albums photos de la famille Baudy qui ouvre en 1887 le fameux Hôtel Baudy qui deviendra le quartier général des artistes.
Du réalisme à l'impressionnisme
La colonie de Giverny prend naissance en pleine vogue du pleinairisme. Le peintre quitte l'atelier pour la campagne et troque le style académique pour un langage plastique fondé sur les simplifications extrêmes, les couleurs intenses et la lumière naturelle.
Les vraies valeurs terriennes éloignées, pour un temps encore, d'un monde en pleine révolution industrielle, attirent les artistes comme retour aux sources du beau et du vrai.
L'instinct grégaire de ces artistes, qui partagent la même sensibilité picturale, les amène à peindre de concert devant les mêmes paysages.
Peu à peu, sous l'influence de l'impressionnisme, la palette se modifie par l'utilisation de tons plus clairs dont la division et l'épaisseur remplaceront le trait.
Ils privilégient les jeux de lumière et les effets d'atmosphère et travaillent sur des thèmes comme les champs (William Blair Bruce, Theodore Robinson et Theodore Wendel), les meules de foin de John Leslie Breck, les peupliers, les sentiers ou les arbres en fleurs avec les cerisiers de Théodore Robinson.
De la représentation à l'idéalisation
Un critique avait écrit avec une ironie non dénuée d'une certaine véracité "les pleinaristes dont les lunettes sont peintes en vert laitue et les impressionnistes qui voient tout en violet".
S'ils retiennent les principes picturaux de Monet, notamment le paysage traité comme une enveloppe colorée et la ligne d'horizon haute, la conception des peintres de Giverny diffère de celle du maître qui prône la fidélité au motif et l'observation sincère de la nature.
En effet, ils ne procèdent pas à la transcription de la réalité mais procèdent par idéalisation de la nature qui peut aller jusqu’au paysage imaginaire comme les vues de sous bois alors qu’il n’y a pas de forêts environnantes.
De l'immersion introspective à la contemplation académique
Par ailleurs, une évolution, nette et fondamentale quant au sens, consiste à s'éloigner du paysage pour se concentrer sur le jardin traité, à la manière de scènes d'intérieur, de l'immersion dans la toile pour communier avec la nature à la simple contemplation extérieure de scènes traitées selon un impressionnisme décoratif.
L'attrait des scènes de la vie rurale n'aura qu'un temps et certains, comme Theodore Butler, Frederick et Mary Mac Monnies, préfèreront peindre leurs proches, "le cercle d’intimes", au sein de leurs propriétés.
Le peintre n'invite plus le spectateur à entrer dans la l'univers représenté mais donne à voir.
Cela correspond également avec l'introduction, par Karl Albert Buehr, Frederick Carl Frieseke, Richard Miller et Edmund Gracen, de figures féminines dans les jardins ainsi que de portraits de femmes dans des scènes familières.
D'aucuns y voient un académisme à rebours, le jardin intemporel devenant le symbole de la vie artistique et d'un art de vivre qui tend à se conforter au code bourgeois. Le peintre a tiré la porte du jardin derrière lui. |