Le groupe Dix10 expose "Mascarade" à la Galerie Les Singuliers du 24 mai au 30 juin 2007. Dix10 ce sont Roma Napoli et JJ Dow Jones qui, depuis 25 ans, pratique un art activiste qui s'interroge sur le concept de l'oeuvre d'art en tant qu'objet marchand.
Nous les avons rencontrés à l'occasion de cette exposition qui appelle à regarder, d'un autre oeil, l'effervescence suscitée par l'ouverture, en 2006, du Musée du Quai Branly consacré aux arts premiers.
L'exposition "Mascarade" intervient en 2007 qui est l'année anniversaire des 25 ans du groupe Dix10. S'inscrit-elle dans le cadre de la célébration de cet anniversaire ?
Roma Napoli : Non, c'est une simple coincidence. Effectivement, nous fêtons les 25 ans de Dix10 qui a commencé en 1982 avec une performance réalisée avec Actuel et les "Sorties de génie" auxquelles nous étions invités à participer, notamment à la fête qui s'est déroulée au Cirque d'hiver. Nous avions réalisé un clip genre publicitaire où nous étions des esquimaux avec un crooner qui chantait, à la fin duquel nous partions avec nos sacs d'esquimaux et nous vendions la représentation d'esquimau à 1 F. C'était notre première réalisation dans le contexte propre à Dix10 qui est de vendre l'œuvre d'art au prix de l'objet représenté.
En 2007, nous venons faire un peu d'agitation avec cette exposition qui a pour thématique le musée des arts premiers. Ce qui nous intéresse est le regard complètement esthétique et mercantile porté sur les tribus et les peuples dont proviennent ces oeuvres avec notamment tous les scandales financiers de cette institution muséale. Et également sur le devenir de ces peuples.
Bernard Dupaigne, ex-directeur du laboratoire d’ethnologie du musée de l’Homme, auteur du livre “Le scandale des Arts premiers” est très critique sur les musées qui deviennent de véritables entreprises commerciales basées uniquement sur le profit en abandonnant le caractère pédagogique du musée. Même si on disait que le musée c'était la poussière. Maintenant c'est le cash flow.
Nous travaillons souvent sur la thématique de l'événement comme nous avions fait les jouets à Noël et cette fois-ci ce sont les arts premiers qui viennent sur le devant de la scène par plusieurs voies, l'art mais aussi l'émigration. Notre interrogation concerne le langage de ces peuples et leur visibilité car ils sont en voie d'extinction et avec eux, qui ont une culture de tradition essentiellement orale, dans une plus large mesure c'est la perte de ce qui nous rattache à nos ancêtres et à une vision de la vie qui est complètement différente de celle qui résulte du libéralisme économique que l'on nous impose à donf.
Comment s'est déroulé ce travail pour créer des œuvres qui différent notamment, au plan formel, du registre très coloré qui est le vôtre puisque ce sont des sculptures murales réalisées en bois, étain, verre et feuilles d'or ?
Roma Napoli : C'est un choix esthétique qui donne notre signification de ce que le masque représente pour nous. Le masque comme symbole du rapport entre celui qui le porte et celui qui le regarde. Le masque est souvent rattaché à un rituel et notre manière de l'envisager n'est pas celle des artistes primitifs, ce que nous ne sommes d'ailleurs pas. Nous avons utilisé des matériaux primaires et la feuille d'or représente la richesse qui est le but de l'opération.
Le masque est sculpté dans le bois de sapin sur lequel on appose ensuite du métal et les feuilles d'or. Ce sont des masques muets, dépourvus de bouche, avec des yeux excavés, pour une communication sans paroles et sans vision. Et elles sont au nombre de 12, comme les 12 mois de l'année, et les masques ne sont ni identifiés ni nommés. A chacun d'y voir ce qu'il veut. Nous nous contentons de notre trilogie formelle qui est à la base du travail de Dix10 : la représentation de l'objet, son nom générique et la signature. Savoir qu'il s'agit d'un masque c'est déjà beaucoup au niveau du sens
JJ Dow Jones : Nous n'avions jamais réellement travaillé sur le masque et cette idée n'était pas prédéterminée. On se rend compte que, dans la progression du langage, le masque a une place particulière et très significative du parcours à faire pour arriver au masque et ensuite pour dépasser le stade du masque pour aller vers autre chose.
Il y a toujours eu une fonction de représentation souvent religieuse ou rituelle qui s'est parfois transformé ensuite en représentation théâtrale.
JJ Dow Jones :Quand le masque a été supplanté par ce qui devait le supplanter, le masque en tant que tel est devenu comme un objet perdu que tout le monde peut ramasser et en faire ce qu'il veut à sa guise. Marcel Duchamp prend un urinoir l'appelle "fontaine" c'est l'euphémisme de la kermesse. Mais le masque pour l'avoir mis en exergue dans une exposition, c'est plutôt une interrogation sur sa correspondance avec l'histoire du langage, pour chasser le fameux démon, celui de midi ou de minuit, ou le démon tout court. Le masque qui a toujours été représenté comme quelque chose de menaçant est devenu menacé et il est menacé comme dirait Hegel et c'est l'ironie de l'histoire. de peuples qui ne sont pas entendus en tant que la parole qui n'a de toute façon de valeur que de là où elle prend corps.
Pour le vernissage, vous aviez prévu un événement symbolique qui n'a pu avoir lieu.
Roma Napoli : Pour aller jusqu'au bout de notre démarche qui ne se limite pas à une exposition temporaire, nous avions organisé une restitution symbolique à un émissaire d'un peuple premier en lui remettant un de ces masques. Cet émissaire, Nen Henry, est un sculpteur iroquois de la nation Haudenosaunee qui est entrain de se faire spolier par le Canada qui veut reprendre une partie des terres sur lesquelles ils ont d'ailleurs déjà empiété pour construire des résidences touristiques de luxe, terres qui leur ont été octroyés en 1744 à des fins touristiques, et dont la nationalité a été reconnue par les Nations Unies en 1975. Et personne ne parle de leur situation.
De plus, depuis janvier 2007, cerise sur le gâteau, leur nationalité n'est plus reconnue par l'Union Européenne et ils ne peuvent plus voyager avec leur passeport en tissu. Il leur faudrait un passeport canadien mais c'est comme si on demandait à un andorrois de voyager avec un passeport français. Ce refus de visa est un refus de reconnaissance de leur nationalité et les isole encore davantage. Donc il n'a pu venir et cela atteste de la vraie réalité de la situation de ces gens. On vient admirer les œuvres des amérindiens et on ne peut jamais voir leurs auteurs ou leurs descendants qui sont porteurs de cette culture.
Et on est également en train d'interdire la migration de certains peuples au motif qu'ils tuent des ours et sont des prédateurs de la faune et menacent des espèces protégées. Ce sont effectivement des prédateurs naturels dont les prélèvements ne sont peut être pas aussi dramatiques qu'on l'annonce puisque ces espèces chassées sont quand même parvenues jusqu'à nous et les vraies causes de leur extinction sont peut être ailleurs. La vogue de l'écologie amène à dire n'importe quoi. Les hommes sont quand même plus importants que les animaux.
Cette exposition est-elle destinée à voyager ?
Roma Napoli : Dans un premier temps, du fait de la non venue de Ben Henry, nous irons sans doute dans les trois mois qui viennent au Canada pour réaliser cette remise qui n'a pu avoir lieu. Et essayer de mobiliser la presse sur leur situation. Pour le reste, tout résulte du coup par coup. Comme pour notre manière de travailler qui est éloignée de la vision romantique de l'artiste qui va chaque jour à son atelier. Nous travaillons sur des projets et tant qu'un projet n'est pas décidé nous ne procédons pas à un travail régulier en amont. Et comme ces projets naissent de la conjoncture, en quelque sorte, rien n'est déterminé à l'avance.
Compte tenu de cette façon de travailler, peut-on parler de vos projets ?
JJ Dow Jones : Nous travaillons à partir d'idées qui surgissent et qui ne sont pas forcément des idées extrêmement originales comme notre précédent projet "Epreuves d'artistes" qui constituent le b-a ba du quotidien de n'importe quel artiste. Mais on se rend compte à la réflexion, en s'y attardant, qu'elles recouvrent davantage de choses que ce qui est évoqué par leur nom dans un premier temps.
Pour "Mascarade" ce qui nous intéressait, en dehors de la symbolique, qui est laissée à l'appréciation et à l'imagination de chacun, c'est le phénomène du masque qui cache le masque qui cache le masque… Les idées ne manquent pas, ne serait-ce qu'au niveau des arts plastiques. Nombreux sont les sujets que nous n'avons pas abordé…comme les panneaux de signalisation par exemple. Ce qui est intéressant dans le prétexte est de pouvoir mettre le nez sur quelque chose de plus important.
|