Faux départ et fin heureuse. Nosfell aphone annule à la dernière minute le concert du 28 mars à Marseille. Ce mercredi 26 juin, c'est une foule pleine d'une impatience grosse de trois mois qui envahit le Poste à Galène à l'en faire craquer. Quand rien n'a servi de courir, il fallait tout au moins partir à point. Nosfell n'en mettra de final à sa prestation qu'une fois le public dument repu.
Artiste complet, Nosfell joue de la guitare et chante, d'une voix acrobatique, dévalant sans cesse toute la gamme de l'aïgu au rocailleux, hurlante, interminable, soudain pure, grave, trébuchante ; il danse, comme danserait un mime fou, inspiré d'un félin, d'un reptile, d'un oiseau, le torse vêtu d'un seul tatouage immense, tribal, primitif ; il grimace comme un singe au coeur de roi et à la voix d'or ; il captive le public des histoires d'un autre monde, Klokochazia.
Défendant ces histoires, Nosfell laisse entendre le conteur qui ne pouvait manquer de se cacher sous son nom complet, Labyala Fela Da Jawid Fel. Un conteur dans la plus antique tradition des forains, des vagabonds géniaux, des balladins et autres montreurs de tours de l'art, que l'on se sent obligé de prendre au sérieux sous ses allures de fou. Un idiot ; donc un prophète...
Maniant une langue vacillante, il raconte les histoires impossibles d'un monde improbable, vacillant un peu, lui aussi, en équilibre sur un pied, la jambe enroulée autour du manche de sa guitare, comme un échassier bavard attaché à son instrument. Emerveillé, le public n'en perd pas une miette, se laisse égarer avec délices dans les méandres outrés de ces histoires aux tiroirs interminables. Le conteur s'en joue et s'en amuse, provoque le rire - non sans montrer du doigt les travers des hommes de là-bas, histoire que l'on voit peut-être un peu mieux ceux des hommes d'ici.
Accompagné de Pierre Le Bourgeois (violoncelle, basse, voix) et, sur quelques titres aux sonorités plus emportées, de William Lopez à la batterie, Nosfell déploie un univers musical tout en nuances, qui emprunte autant au rock qu'aux musiques traditionnelles de tous les coins du monde et aux tripatouillages modernistes du bruitisme amélodique.
La plupart du temps deux sur scène, Nosfell et Le Bourgeois jouent beaucoup avec leurs pieds. Comprendre : avec une armada de pédales de toutes espèces. Une utilisation experte des techniques d'auto-sampling leur permet ainsi de dépasser aisément les limites imposées par le nombre total de leurs membres aditionnés (on remarquera d'ailleurs l'incroyable variété de bruits de percussions que Nosfell est capable de produire à la bouche).
Quant au choix des titres, il est irréprochable, alternant les compositions du premier album (Pomaïe Klokochazia Balek, septembre 2004) comme les indispensables "Mindala Jinka" et "Shaûnipul", l'endiablé "Blewkhz gowz" ; et celles de Kälin bla lemsnit dünfel labaynit, le deuxième album (octobre 2006), parmi lesquelles on retiendra notamment "Günnel", impeccable ouverture du concert, l'électrique "Jalin Madaz" et l'explosif "Blowtilan". Nosfell offre sur scène le meilleur de sa discographie, sans rien oublier de la très grande étendue de ses talents.
Manifestement touchés de l'accueil triomphal que leur fait le public, les musiciens ne viendront au bout des applaudissements et des cris qu'après deux rappels électrisés. Leur prestation aura largement suffit à effacer la déception de l'annulation de la première date et les quelques mois d'attente.
C'est plein de la richesse de l'univers singulier de Klokochazia et émerveillé par le talent indéniable de Nosfell, son héraut, que le public repartira ce soir-là - certainement tout aussi impatient qu'il ne l'était en arrivant, de pouvoir revoir sur scène cet artiste atypique. |