L’exposition "Objets blessés, la réparation en Afrique", qui se tient au Musée du Quai Branly, est née d’une réflexion de Gaetano Speranza, spécialiste en histoire de l’art africain, sur la notion de réparation telle qu’elle est pratiquée sur le continent africain où elle constitue un pivot de la vie économique et sociale.
Dans une scénographie sobre, vitrines lumineuses et pénombre bleutée, les objets sélectionnés revêtent une beauté singulière et envoûtante.
Une thérapeutique protéiforme érigée en art
L’exposition présente un large éventail d’objets "blessés", tant usuels que rituels, qui ont fait l’objet de réparation selon des techniques diverses, mais toujours appropriées au matériau et adaptées à la nature du dommage subi.
Les modalités d’exécution sont également variées, des plus rudimentaires au plus soignées qui manifestent un réel souci esthétique dotant ainsi la réparation d’un aspect décoratif.
Les traces de ces opérations de restauration fonctionnelle qui ne tendent jamais à restituer l’aspect d’origine et sont, au contraire, toujours visibles comme pour témoigner de l’office du temps et de la procédure appliquée, constituent autant de cicatrices émouvantes de la vie presque anthropomorphique de ces objets.
Les réparations concernent aussi bien les objets d’usage courant tels que des récipients, mais aussi des bijoux ou des instruments de musique, réalisés dans des matériaux rares, au sens du pays concerné, ainsi que des objets rituels comme les masques.
Le terme "blessés" est d’autant plus judicieux : le visiteur peut constater que les procédés utilisés sont comparables aux méthodes chirurgicales.
Les sutures peuvent être élémentaires avec des agrafes métalliques et les ligatures et les coutures grossières ou raffinées comme des points de broderie que l’on trouve notamment sur les calebasses pour leur conserver leur finesse originaire.
Les pertes de matière sont comblées par des colmatages, des "greffes" qui rappellent les pièces de raccommodage ou des prothèses.
Certains objets sont accompagnés de dessins originaux d’Emmanuelle Duparchy qui détaillent l’opération effectuée
Est également présentée une galerie de très belles photographies de Laurent Schneiter qui rend hommage aux réparateurs.
Une réparation fonctionnelle et symbolique
La qualité des réparateurs amène à s’interroger sur le sens profond de la pratique de la réparation.
Car l’impératif économique de réparation des objets usuels et le principe quasi évident de celle des objets rituels qui ressortissent au sacré ne sont pas les seuls raisons de cette pratique généralisée.
En effet, que la réparation ait une finalité fonctionnelle ou symbolique, elle ne relève pas de la compétence d’une personne ordinaire et n’est pas effectuée par le détenteur de l’objet.
Elle revêt toujours une dimension sociale et s’accompagne d’un rituel, profane ou sacré, pratiqué par des intervenants qui sont souvent investis d’un rôle, voire d’un pouvoir, spécifique.
Comme le potier ou le forgeron du fait de leur rapport de maîtrise avec d’un élément de la nature, la terre, le feu, d’autant plus s’agissant des objets rituels avec l’intercession décisionnaire de personnes, comme le griot ou le marabout.
La détérioration d’un objet, dont l’ancrage dans le temps est apprécié de manière différente sur le continent africain, est considérée comme le signe d’un dérèglement social que seul le geste d’un homme "élu" peut réparer.
Un intéressante exposition qui invite également à une réflexion plus large sur le consumérisme avec la mise en parallèle de la disparition progressive, dans les pays riches, de la pratique universelle et intemporelle de la réparation des objets et la pratique contemporaine dans les pays sous développés, et plus précisément sur le continent africain, du recyclage et de la réparation des rebuts des nantis. |