Interview par mail de Mark Beazley leader du groupe Rothko.
Bonjour. Votre onzième album, "Eleven stages of intervention", est paru chez Bip Hop records en mai dernier. Qui était Rothko, cette fois-ci ?
Mark Beazley : Moi même, accompagné de Michael Donnelly à la basse, Ben Page aux claviers et aux percussions et Tom Page (le frère de Tom) à la batterie et aux percussions. Tout le groupe jouait déjà sur A continual search for originis (Too pure, 2002). Nous jouons donc ensemble depuis 2001, Michael et moi avons formé un duo de basses pendant un bon moment, avant que Ben et Tom ne reviennent d'Ecosse où ils ont vécu un moment pour revivre à Londres. Ben et Tom ont également leur propre groupe, Rocketnumbernine, un duo d 'improvisation batterie plus électronique.
Pouvez-vous nous parler de vos collaborations avec Susumu Yokota ?
Mark Beazley : Il y a eu deux collaborations : "Waters Edge", un single publié par Lo recordings, puis un album, Distant sounds of summer, également publié par Lo recordings. Travailler avec Susumu sur ces enregistrements a été un pur délice. Un rêve devenu réalité pour moi d'avoir travaillé avec quelqu'un dont j'ai admiré si longtemps le travail. C'est John Tye de Lo recordings qui a suggéré que nous essayions de faire quelque chose ensemble et ça a tout simplement semblé fonctionné incroyablement bien.
Sur ce nouvel album, l'utilisation du bruit me semble plus poussée que sur les albums précédents. Moins épuré que sur A place between, par exemple, plus proche de ce que vous faisiez avant la séparation de 2001. Est-ce une démarche consciente, un retour à la source ?
Mark Beazley : En fait, j'ai l'impression qu'il s'agit de l'album de Rothko le plus épuré jusqu'à présent, et qu'il n'a rien à voir avec les publications précédentes de Rothko. Notamment avant 2001. L'enregistrement et le mixage de cet album ont été plus longs que pour aucun autre. Je voulais que chaque petit son soit audible, quelle que soit la quantité de sons et de bruits qui le recouvraient. Il n'y a qu'un seul titre "bruitiste" sur l'album, "Weather every storm" ; et même celui-ci est porté par un certain calme sous-jacent au bruit. J'ai été très étonné que tu dises cela ; mais c'est comme ça avec la musique : on voit tous les choses différemment
Vous n'avez jamais été tenté de reformer le trio de basses initial, le temps d'un album ou d'un concert ?
Mark Beazley : Jamais de la vie. Cela ne mènerait nulle part. La seule raison pour laquelle les groupes se reforment, c'est pour gagner de l'argent. Mais comme nous n'avons jamais gagné d'argent... Mais même si on m'offrait un million de livres, je dirais toujours non.
Je me suis toujours demandé pourquoi vous aviez choisi pour nom du groupe le nom du peintre Rothko ? Quand j'écoute votre musique, la façon dont vous travaillez avec la matière musicale elle-même, je pense plutôt à ce que faisait Tapiès, un autre peintre du 20ème siècle.
Mark Beazley : Je crains de ne pas connaître Tapiès. Je suis désolé, je me renseignerai sur son travail. Quand je suis parti de chez mes parents et que j'ai emménagé à Londres, à 20 ans, je passais beaucoup de temps à la Tate Gallery et c'est là que j'ai vraiment découvert la peinture de Rothko. Les sentiments que me procurait le fait de me trouver dans le même lieu que son travail a eu un effet important sur la façon dont je voyais les choses.
J'ai découvert que, parfois, plus on regardait quelque chose de près, moins on le comprenait. Et que plus on s'éloignait de quelque chose, plus elle devenait sensée. C'est ce que le travail de Rothko m'apporte. Prendre de la distance vis à vis des choses peut être une façon de comprendre des choses auxquelles vous vous êtes démenés pour donner un sens. C'est ce qu'il m'a aidé à réaliser.
Comment créez-vous vos morceaux et vos albums ? Y'a-t-il une large part d'improvisation dans le processus ? Quelles sont vos sources d'inspirations ?
Mark Beazley : Il n'y a aucune part d'improvisation. L"improvisation n'est qu'un autre nom qu'utilisent les musiciens et les groupes pour donner un air important ou intelligent aux boeufs. Les titres sont très longs à construire. Tout réside dans un processus d'élimination. Une pièce peut être d'abord très pleine, avec de nombreux instruments, puis être réduite seulement au piano, aux cordes ou juste à la basse. Ou alors elle pourrait commencer très minimale puis devenir très foisonnante. Il n'y a pas de règles. Mais c'est très long. Quant à l'inspiration... pas de musique. Tout le reste. Tout. Mais pas une seule note de la musique de quelqu'un d'autre. Pas une seule petite note.
Avez-vous la sensation de faire quelque chose comme du "post-rock" ? Comment décririez-vous votre musique, en quelques mots ?
Mark Beazley : Le Post-rock n'existe pas. La musique existe. La poésie existe. L'art existe. Le post-rock n'existe pas. Nous existons à peine. Nous n'appartenons à rien d'autre qu'à nous-mêmes. Nous n'appartiendrons jamais à rien d'autre. Quel intérêt y a-t-il à faire quelque chose simplement pour entrer dans un cadre ? Nous ne le ferons jamais.
Y a-t-il aujourd'hui des musiciens dont vous vous sentez proches ?
Mark Beazley : Je suis désolé, mais non.
Et quels sont vos artistes préférés ?
Mark Beazley : Building Castles Out Of Matchsticks, BLK w/BEAR, Gary Peacock.
Vous avez des projets parallèles ?
Mark Beazley :Je joue également dans un trio de drone appelé Signals,c avec Chris Goewers de Evelyn Records à la guitare et Phil Julian, également connu comme "heapmachines", aux cymbales courbes et à l'électronique.
Je viens également de commencer à jouer de la basse pour Strings of Consciousness, qui sont signés sur le label Central Control de Barry Adamsons, mon autre projet solo personnel, Connective Tissue, fait d'instruments classiques transformés en pur bruit et en drones, et une future collaboration avec Building castles out of matchsticks, c'est à dire Anne Sulikowski d'Hamilton, Ontarion Canada.
Je viens également de réssuciter mon label, Trace recordings (www.tracerecordings.com), avec une paire de sorties sur les rangs pour très bientôt. Et en premier lieu une compilation de Rothko intitulée "A life lived elsewhere", prévue pour la fin Octobre. Cet album ne sortira pas en magasin. Il ne sera disponible que via le site web de trace recordings ou aux concerts où nous jouerons.
Quel est votre album préféré de Rothko (mis à part "Eleven stages of intervention") ? Y en a-t-il que vous n'aimez plus ?
Mark Beazley : "Wish for a world without hurt" est mon album préféré après Eleven stages. Cet album était une collaboration avec un ami cher, Jim Adams, alias BLK w/Bear. C'est le premier album que j'ai jamais publié sur Trace recordings et il a une place à part dans mon coeur. Tout ce qui le concerne est très personnel. Et je ne peux plus écouter "A place between" ; en fait, je ne pense pas que je l'ai jamais écouté depuis que je l'ai fini. Il a été si long à réaliser que j'ai tout simplement perdu de vue ce à quoi il aurait du ressemblé et quand il a été terminé, j'en avais tout simplement assez. Désolé.
Et Caroline Ross, qui n'apparaît pas sur le dernier album ? Comptez-vous collaborer à nouveau avec elle ? "A continual search for origins" et "A place between", sur lesquels elle tient une place importante, sont deux albums essentiels de Rothko
Mark Beazley : Caroline faisait partie du groupe livre à l'époque de "A continual search for origins", mais ce n'était que temporaire, puisqu'elle jouait également dans le groupe Delicate AWOL et ne faisait que m'aider à produire l'album comme performance live. C'était un fait son idée de faire un disque ensemble. J'avais déjà écrit tous les morceaux qui se trouvent sur "A place between" et elle a ajouté de la guitare et des voix. Ces morceaux ne seraient jamais apparus nulle part si elle n'avait pas suggéré de faire un album. Ils ne correspondaient pas à ce à quoi je voulais que Rothko ressemble. Alors c'était plutôt bien qu'elle chante sur ces morceaux et très aimable de la part de Lo recordings de publier l'album. Il n'y a aucun projet de collaboration future avec elle.
Cela fait onze albums maintenant... que vous reste-t-il à souhaiter ?
Mark Beazley : Je ne sais jamais de quoi sera fait demain ; ou le jour d'après. Je ne sais jamais ce qui doit se passer ensuite. Je ne peux pas répondre à cette question. Mais si vous me demandez ce que je souhaite, c'est facile. Je souhaite un monde sans souffrance. Pour tout le monde.
Quelque chose à ajouter ? On vous laisse le mot de la fin. Sentez-vous libre de nous parler de tout ce qui peut vous sembler important. En vous remerciant pour vos réponses.
Mark Beazley : Il n'y a rien que je puisse dire qui soit important. Ceux qui nous connaissent nous connaitront. Et ceux qui ne nous connaissent pas - hé bien, j'espère qu'ils nous connaîtront et qu'ils feront un bout de voyage avec nous. Pour l'instant, tout a été incroyable. Rencontrer tant de gens étonnants. C'est un beau rêve dont je ne veux jamais me réveiller. J'espère vraiment que tout continuera encore un peu. Merci Cédric. |